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Expériences résidentielles, insécurité socio‑économique et reconfiguration des appartenances sociales lors de l’entrée dans la vie adulte

Residential experiences, socio‑economic insecurity and reconfiguration of social belonging when entering adulthood
Laurence Faure et Éliane Le Dantec

Résumés

Les conditions de logement de jeunes confrontés à une précarité d’emploi marquée et durable sont un révélateur aux implications multidimensionnelles de leur appartenance sociale et de leurs façons de se la représenter, repoussant un peu plus et complexifiant le franchissement des étapes du calendrier d’accès au statut d’adulte. Ces conditions témoignent de la diversité des expériences populaires héritées mais aussi des écueils de la confrontation inédite avec un univers jusque‑là non‑pratiqué conduisant une partie de ces jeunes à affronter le risque de déclassement et leurs familles à tenter de le contenir. Nous avons décliné trois formes archétypes d’expériences résidentielles selon le degré d’effectivité du soutien familial: la cohabitation de nécessité, la décohabitation protégée et la décohabitation non‑protégée.

Residential experiences, socio‑economic insecurity and reconfiguration of social belonging when entering adulthood

The aim of this paper is to show that the housing conditions of youths facing long‑lasting job precariousness participate in various ways in the youths’ (re)definition of their social status and social perception of themselves, adding complexity to their access to adulthood. These housing conditions indicate the diversity of inherited popular experiences and also the difficulties for some youths to confront an unexperienced world, which leads them to face a decline in social status and pushes their family to try to stop this fall. We have identified three forms of archetypal residential experiences according to the effectiveness of familial support: living with family members out of necessity (cohabitation out of necessity), living in one’s own home with familial support (protected de‑cohabitation), and living in one’s own home without any familial support (unprotected de‑cohabitation).

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Texte intégral

  • 1 .Par comparaison avec la période de croissance économique et de développement de l’État social des (...)
  • 2 .Nous remercions les rapporteur(e)s qui par leurs commentaires ont contribué à l’aboutissement de (...)
  • 3 .Notamment selon le niveau de formation, l’effectivité du soutien familial et l’origine sociale.

1Notre propos vise à montrer que l’exposition des jeunes à l’insécurité d’emploi redevient centrale1 dans la définition des appartenances populaires et qu’elle interfère avec les autres domaines de l’existence2. Cette précarisation socio‑professionnelle à laquelle sont exposées à des degrés variables3, les générations nées au cours des deux dernières décennies du xxesiècle, rend plus délicat et complexe l’accès au statut d’adulte en tant que statut social valorisé, contribuant ainsi à renforcer l’intériorisation d’un sentiment de déclassement pour une partie de la jeunesse.

2Par delà les éléments de caractérisation habituels de la condition populaire (petitesse du statut, étroitesse des ressources économiques, éloignement par rapport au capital culturel, Schwartz, 1997), la difficulté pour une partie des jeunes d’accéder à un logement autonome s’avère une dimension essentielle à retenir pour l’appréhender dans ses reconfigurations actuelles ainsi que dans ses effets sur la vie relationnelle et sur les subjectivités. Des travaux ont en effet souligné l’importance de la prise en compte, en complément du statut socio‑professionnel, des situations familiales, résidentielles et patrimoniales dans la lecture de la trajectoire pour saisir la manière dont les individus perçoivent subjectivement leur situation sociale et leur éventuelle mobilité (Attias‑Donfut & Wolff, 2001).

  • 4 .Ces difficultés contribuent également à l’allongement de la jeunesse et autorisent à considérer c (...)
  • 5 .Rappelons que l’entrée en activité professionnelle, la décohabitation dans un logement indépendan (...)

3Si la seconde moitié du xxesiècle en Europe se caractérise par l’allongement de la jeunesse (Cavalli & Galland, 1993) du fait du prolongement des études, les effets de la crise économique, d’une part, sur l’insertion socio-professionnelle et, d’autre part, plus récemment, sur le report de l’installation dans un logement indépendant en France (Portella & Dezenaire, 2014) ont également été soulignés4. Les résultats de l’enquête Entrée dans la vie adulte de l’Insee (Encadré 1) montrent que la proportion de jeunes entre 23 ans et 28 ans en 2009 vivant chez leurs parents passe du simple au double, lorsque l’on compare les individus en emploi stable (21,6 %) et ceux sans emploi (45 %). Ces éléments amènent à prendre au sérieux la dimension statutaire5 de l’accès à l’âge adulte comme essentielle pour comprendre les manières de vivre la jeunesse aujourd’hui des individus en situation de précarité socio‑professionnelle. Nous nous situons ainsi à distance d’une partie des analyses récentes en sociologie de la jeunesse. Souvent centrées sur des jeunes étudiants ou diplômés, plus fréquemment membres des classes moyennes ou supérieures, celles‑ci appréhendent de manière privilégiée la jeunesse française en termes d’expérimentation sociale, d’accès à l’autonomie et de construction individuelle (Gaviria, 2005, 2012 ; Maunaye, 2013 ; Ramos, 2001) et tendent à homogénéiser socialement les expériences vécues à cet âge de la vie. Ces analyses sous‑estiment ainsi les conditions objectives d’existence pour se centrer sur les expériences subjectives. Nous partons, d’une part, de l’idée qu’il importe de saisir les spécificités des expériences des jeunes en situation de précarité socio‑économique, issus des milieux populaires ou faisant l’expérience du déclassement et considérons, d’autre part, que les perceptions subjectives des individus, pour être comprises, doivent être analysées dans leurs relations d’interdépendance avec les conditions objectives d’existence et les propriétés sociales de ces derniers, c’est‑à‑dire en cherchant à saisir comment s’articulent, réalité objective et réalité subjective (Berger & Luckmann, 1997). Il semble alors important de chercher à décrypter les modalités différenciées d’entrée dans l’âge adulte des jeunes concernés, en prenant en compte les dimensions professionnelles, résidentielles et matrimoniales du calendrier, ainsi qu’en s’attachant à dégager les manières subjectives de vivre ces situations.

  • 6 .Par mode d’habitat et d’habiter nous entendons prendre en compte à la fois les conditions de loge (...)

4Tous les jeunes enquêtés par entretiens (Encadré 1) connais­sent une précarité importante les positionnant objectivement dans les classes populaires du point de vue de leurs situations socio‑professionnelles et/ou de leurs revenus bien qu’ils puissent se disjoindre par le biais d’une ou plusieurs de leurs autres propriétés sociales ou « culturologiques » (Schwartz, 1997). Cette précarité est plus ou moins renforcée ou atténuée par leur situation d’habitat qui n’est pas sans incidences significatives sur leur manière de faire face au présent et d’appréhender l’avenir. La situation d’habitat et ses implications relationnelles s’avèrent notamment déterminantes dans leur adhésion ou leur distance aux valeurs et références propres aux mondes populaires. Or, on peut se demander en quoi, aujourd’hui, les conditions de logement resserrent ou desserrent l’étau induit par la précarité de l’emploi. En quoi diversifient‑t‑elles l’expérience populaire héritée ? Comment parviennent‑elles, grâce au soutien familial, à contenir les écueils d’une confrontation inédite à celle‑ci ? En mettant en exergue des variations dans les modes d’habitat et d’habiter6, nos travaux nous amènent plus généralement à interroger les conditions, le sens et les enjeux du phénomène de déclassement repérable chez des jeunes en difficulté d’insertion professionnelle issus de classes moyennes ou des classes populaires stabilisées. Trois profils archétypes sont dégagés : la cohabitation de nécessité, la décohabitation protégée et la décohabitation non‑protégée. Leur présentation s’organise autour de deux axes principaux. Le premier situe les jeunes au regard de leurs conditions objectives d’existence. Le second s’intéresse à la manière dont ils les vivent subjectivement au présent et au futur.

Encadré 1. Présentation du corpus de données

Cet article repose sur deux enquêtes qualitatives et sur la mobilisation de données statistiques nationales.

Les enquêtes qualitatives

Une première enquête a été réalisée auprès d’usagers d’une mission locale et d’une association d’aide au logement des jeunes, respectivement situées dans les départements des Pyrénées‑Orientales et du Rhône. Elle s’inscrivait dans le programme ANR « vulnérabilités : à l’articulation du sanitaire et du social » (2008/2012) du projet « Formes et conditions de la sortie de vulnérabilité sociale en milieux populaires », sous la direction de Sylvia Faure et Daniel Thin, Centre Max Weber, université Lumière – Lyon‑II).

Une deuxième enquête, en cours, est notamment menée auprès de jeunes habitants d’un quartier perpignanais (« la ville nouvelle du Moulin‑à‑Vent ») fondé au tournant des années 1950 et 1960 sur le principe de l’accès populaire à la propriété du logement mais qui, depuis la décennie 2000, enregistre une progression du nombre de locataires dont la solvabilité est souvent fragile. Diplômés ou non, les jeunes rencontrés font l’expérience de l’absence prolongée d’emploi et/ou de situations socio‑économiques précaires.

Des territoires enquêtés contrastés

Les deux enquêtes se sont déroulées dans des territoires urbains aux histoires et contextes socio‑économiques différents.

Perpignan (105 000 habitants) est caractérisée par un taux de chômage nettement supérieur à la moyenne nationale (24 % en 2012). Cette ville est située dans le département de France métropolitaine où ce taux et celui d’allocataires du revenu de solidarité active (RSA, 8,9 % en 2015) sont les plus élevés. Dans le même temps, ce département enregistre un taux annuel de créations d’emplois (principalement à durée limitée) élevé en raison des activités saisonnières dans l’agriculture et le tourisme. Les emplois dans l’industrie y sont très peu représentés.

Inversement, Lyon et sa communauté urbaine constitue un bassin d’emploi caractérisé notamment par l’implantation déjà ancienne des industries de process (chimie, pharmacie…) et celle plus récente des activités tertiaires de pointe (informatique, recherche et développement, culture…), les unes et les autres mobilisant une main‑d’œuvre formée et qualifiée. Le taux de chômage à Lyon en 2012 est de 13,2 % et dans le département du Rhône de 12,2 %. Dans ce dernier, le pourcentage d’allocataires du RSA est de 4,6 % en 2015.

Le dispositif méthodologique

Dans la recherche ANR, outre les entretiens réalisés auprès des professionnels non analysés ici, vingt-et-un entretiens ont été effectués dans les locaux de la mission locale et de l’association d’aide au logement des jeunes. Les chercheures les ont rencontrés en sollicitant directement les usagers fréquentant la mission locale et par l’intermédiaire des intervenants de l’association d’aide au logement.

Dans l’enquête en cours sur le quartier perpignanais, qui porte sur différentes classes d’âge, les quinze entretiens réalisés auprès des jeunes, ont eu lieu à leur domicile. Ils ont été contactés par divers canaux tels que la mairie, une association de quartier, les secrétariats de département de l’université voisine, les coordonnées proposées par des personnes venant d’être enquêtées. Au total, dans ces deux enquêtes, 36 entretiens ont été réalisés avec des jeunes, dont certains auprès de couples.

L’enquête statistique Entrée dans la vie adulte*

L’enquête Entrée dans la vie adulte (EVA) est une enquête longitudinale réalisée par l’Insee qui s’appuie sur le panel d’élèves (n = 17 830) suivi par la direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP), entrés dans le second degré à la rentrée 1995 et qui ont été interrogés chaque année jusqu’en 2005. Ceux qui ont engagé des études supérieures après le baccalauréat ont été suivis par l’enquête Enseignement supérieur de la DEPP. Les autres ont été contactés par l’Insee dans le cadre de l’enquête EVA jusqu’en 2011. L’année 2009 a été choisie comme année d’observation, alors que les jeunes avaient en majorité atteint 25 ans et qu’une proportion importante d’entre eux avait décohabité. Dans l’enquête EVA, qui porte sur ces jeunes depuis leur sortie du secondaire, quatorze ans après leur entrée en sixième, 93 % ont entre 25 ans et 26 ans, les proportions restantes se répartissant équitablement entre les 23‑24 ans et les 27‑28 ans.

L’enquête a fait l’objet d’un traitement statistique** qui vient appuyer les données qualitatives recueillies. Elle permet de disposer d’informations détaillées sur le parcours scolaire, l’insertion professionnelle mais également les situations résidentielles d’une cohorte de jeunes, qu’ils aient ou non poursuivi des études supérieures.

* Sources : panel d’élèves du second degré, recrutement 1995‑2011, DEPP‑Ministère de l’Éducation (producteur), ADISP‑CMH (diffuseur) ; enquête Entrée dans la vie adulte (EVA) ‑ 2005‑2011, Insee (producteur), ADISP‑CMH (diffuseur).

** Nous remercions tout particulièrement Karine Pietropaoli, ingénieure de recherche au Centre Max Weber pour le traitement des données statistiques.

La cohabitation de nécessité : contenir le risque de déclassement

  • 7 .La cohabitation de nécessité regroupe les jeunes qui du fait de leurs situations actuelles (d’âge (...)
  • 8 .Les jeunes ayant répondu à cette enquête comportent des diplômés du supérieur, plus souvent issus (...)

5Parmi les jeunes enquêtés en situation de précarité socio‑économique, un quart s’inscrit dans une cohabitation de nécessité7. Ce mode d’habitat et d’habiter peut être spécifié au regard de la situation relativement sécurisée de leurs parents dans l’espace social populaire, non sans des doutes de plus en plus prégnants sur sa possible transmission aux enfants. Âgés de 17 ans à 22 ans, ils se rapprochent en cela des jeunes hébergés par leurs parents et sans emploi (45 %) néanmoins plus âgés de l’enquête nationale EVA8 (Tableau 1). Leurs parents disposent de revenus salariaux modestes – actuellement réguliers – mais ne possèdent pas un petit patrimoine apte à assurer une fonction de soupape de sécurité, au moins un temps, en cas de chômage durable de leurs enfants (voir infra). À l’exception d’une famille en déclassement, propriétaire d’un appartement, toutes les autres sont locataires dans le secteur privé ou social. En conformité avec la tendance actuelle à la diversification des statuts matrimoniaux en Europe (Marti et al., 2005), la divortialité concerne la moitié des couples parentaux sans affecter l’implication des deux parents dans le soutien matériel et affectif aux enfants en difficulté d’emploi. En comparaison avec les deux autres groupes de la typologie, les parents sont cependant moins souvent séparés.

6La cohabitation de nécessité circonscrit un espace‑temps où, tant subjectivement qu’objectivement, se joue au quotidien la tension entre « s’en sortir quand même pas trop mal » comme les parents et risquer de déchoir (Thin, 1998). Elle traduit un réalisme en contexte et garantit sur le fil du rasoir un « certain bien être » avant que le pire toujours structurellement possible (Didry, 2002) ne finisse par s’installer pour un temps dont la durée n’est pas prévisible et les modalités demeurent opaques, le rendant d’autant plus angoissant. Les entretiens permettent de distinguer deux configurations familiales populaires expérimentant la cohabitation de nécessité : celle qui est travaillée par la norme du confort (le Goff, 1994) et de l’autonomie personnelle (Weber, 1991) ; celle où la mobilisation « classique » de la solidarité intrafamiliale demeure décisive, en appelant d’abord au collectif. Elles traduisent deux manières d’appréhender le manque comme caractéristique de la condition populaire. À la différence de la première configuration, la seconde concerne une population « racisée » pour laquelle la sécurisation socio‑économique est encore plus difficile en raison de la discrimination à l’emploi et au logement dont elle est destinataire (Hamel et al., 2011).

Une autonomie à domicile seul ou en couple

  • 9 .Propos d’une jeune femme titulaire d’un brevet d’études professionnelles (BEP), en recherche d’em (...)

7Les propos d’une enquêtée restituent bien l’idée que les parents ont à cœur d’assurer un « certain confort » à leurs enfants alors qu’ils « ne roulent quand même pas sur l’or ». Ses propos laissent entendre que le soutien apporté par les parents, relevant d’un altruisme de proximité (Laferrère, 2005), vise à empêcher d’être confronté trop directement au manque : « ils m’encouragent souvent à leur dire si j’ai besoin de quelque chose. Ils souhaitent que je manque de rien9 ». Se sentant à la fois chanceux et/ou redevables de pouvoir bénéficier de la sollicitude de leurs parents, ces jeunes procèdent à une mise en suspens partielle de soi en attendant des jours meilleurs dont la survenue leur paraît plus ou moins possible. En effet, parce qu’ils sont aidés au quotidien et afin de ne pas être « un poids », ils contiennent pour partie leurs aspirations personnelles. Non sans ambivalence, ils savent que la mise entre parenthèses provisoire de l’affirmation de son « quant à soi » (Lüdike, 1991) leur épargne l’épreuve psychique d’avoir à subir d’emblée les effets de la précarité qui, très probablement, donnera le tempo à leur existence future.

Tableau 1. Conditions de logement en 2009‑2010 (%)

Âge

Au domicile des parents ou chez un membre de la famille

Logement indépendant appartenant à votre famille ou à vous‑même

Logement indépendant en location (ou colocation)

Autre

moins de 25 ans

18,99

12,00

63,90

5,12

25 ans

26,19

16,66

53,69

3,46

26 ans

32,71

17,91

46,82

2,56

plus de 26 ans

40,72

15,05

38,56

5,68

Sexe

homme

33,15

14,35

48,63

3,87

femme

22,04

19,16

55,88

2,93

Diplôme

bac + 2 et plus

22,41

16,80

57,57

3,22

bac

26,81

16,93

52,13

4,14

brevet

29,46

16,76

51,44

2,33

cap/bep

30,01

18,43

47,74

3,82

non‑diplômé

37,21

14,11

45,91

2,77

Situation prof. (mars 2010)

en emploi

24,52

18,38

53,95

3,15

sans emploi : en recherche

45,09

10,66

40,69

3,56

sans : pas de recherche

27,63

10,91

55,67

5,78

Statut d’emploi

emplois précaires

31,37

12,13

52,35

4,16

cdi, fonctionnaire

21,64

21,00

54,62

2,74

PCS chef de famille

agriculteurs

21,13

19,89

57,14

1,84

artisans com., chefs d’entr.

26,62

20,46

49,80

3,11

cadres et pis

23,77

13,84

58,68

3,71

professions intermédiaires

24,81

14,96

55,17

5,06

employés

26,92

16,11

53,80

3,17

ouvriers

31,72

18,17

47,20

2,92

sans activité professionnelle

32,49

9,72

55,40

2,39

Nationalite du père

française

24,86

17,87

53,87

3,39

d’un autre pays d’Europe

37,86

22,10

36,23

3,80

d’un pays du Maghreb

48,79

5,49

42,94

2,78

autres pays

44,65

9,48

41,09

4,79

Source : enquête Entrée dans la vie adulte ; enquête de l’Insee qui s’appuie sur le panel d’élèves (n = 17 830) suivi par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP).

  • 10 .À l’exception d’une jeune femme, aucune n’envisage d’emblée que la décohabitation se fera lors de (...)
  • 11 .Elles se distinguent en cela des jeunes femmes peu ou pas diplômées rencontrées par Armelle Teste (...)
  • 12 .Contrairement aux tendances nationales (Bajos & Bozon, 2008) et à l’enquête d’Isabelle Clair (201 (...)

8L’expérience de la cohabitation de nécessité innervée par la double norme du confort et de l’autonomie semble différente selon le sexe. Les propos recueillis auprès des jeunes femmes sont structurés par l’établissement d’un séquençage de leurs priorités. D’abord, en se formant s’il le faut, il s’agit d’accéder à un emploi apte à garantir leur indépendance financière et résidentielle10 pour pouvoir, ensuite, envisager une vie de couple et fonder une famille11. Également préoccupés par leurs difficultés d’emploi, les jeunes hommes de ce groupe ne font cependant pas de cette indépendance une exigence préalable à leur mise en couple. Au contraire, vivant avec leur compagne chez leurs parents12, ils considèrent qu’ils parviendront ainsi à supporter au mieux le temps nécessaire à leur indépendance. Séquencées par les unes et imbriquées pour les autres, les temporalités de l’insertion professionnelle et de la mise en couple génèrent des ressentis différents de la cohabitation de nécessité. Si toutes et tous contribuent financièrement au budget familial quand ils le peuvent et vivent mal de ne pas ou ne plus pouvoir le faire, leurs façons de percevoir et de s’approprier leur lieu d’habitat se distinguent sensiblement. Les premières sont préoccupées d’adopter une posture discrète et sont impliquées dans les tâches domestiques. Elles disent aussi leurs scrupules à s’approprier l’espace habité. La jeune femme recohabitante dit ainsi :

Je sais que j’ai un logement mais je m’autorise pas à l’habiter vraiment. Je m’en sens pas le droit même si mes parents, ils me disent souvent « tu es chez toi ici ».

9Quant aux seconds, ils semblent saisir plus aisément l’opportunité qui leur est faite d’avoir un toit et de s’y aménager un espace à eux, adapté à leur vie de couple. Un jeune indique :

  • 13 .Jeune homme non‑diplômé et sans emploi, en couple chez sa mère ouvrière et son beau‑père retraité

Avec ma copine, on dispose chez ma mère d’un mini studio que j’ai pu meubler avec l’argent que j’ai mis de côté. Quand on aura notre appartement, on aura déjà la chambre, la télé et l’ordi. Ça sera déjà au moins ça13.

10Le temps de la cohabitation de nécessité participe à la sédimentation d’une perception de l’avenir qui paraît marquée par le genre. Le vivant sur le mode de la réserve, les jeunes femmes tendent à le concevoir comme un événement passager de leur trajectoire personnelle et sociale. Pour presque toutes, leur avenir devra reposer sur une activité professionnelle suffisamment intéressante et rémunératrice. Même si au bout du compte, elles risquent d’être confrontées au travail à temps partiel dans le cadre d’emplois précaires, le temps suspendu de la cohabitation de nécessité leur permet de continuer à nourrir un idéal de vie fondé sur leur accès en tant que femmes à une activité professionnelle source d’autonomie, leur laissant penser qu’elles sauront faire avec la précarité sans trop la subir, voire même qu’elles pourront y échapper. Ces jeunes femmes, préparant ou détenant un diplôme professionnel, veulent croire qu’elles pourront maintenir la position relativement sécurisée de leurs parents. Leur parole laisse transparaître, avec plus ou moins de conviction, qu’elles se forgent une compétence appréciable en période de précarisation des trajectoires de vie.

  • 14 .Seule une jeune femme, cohabitante par nécessité et préparant un certificat d’aptitude profession (...)

11Les jeunes hommes intériorisent davantage la norme de précarité et le risque de déclassement. Plusieurs se disent convaincus que leur vie « ce sera la précarité » et qu’ils doivent s’y préparer conformément au principe de réalité. À la différence des femmes et, renversant pour partie les schèmes traditionnels à l’œuvre dans le monde populaire (Schwartz, 1990), ils considèrent qu’ils ne doivent pas attendre grand chose sur le plan du travail, plaçant leurs espoirs dans leur vie de couple et de famille. Ils se rapprochent ainsi des déclassés qui entretiennent à l’égard du travail un rapport distancié, investissant par compensation la sphère familiale ou résidentielle (Peugny, 2009). Cela fait ressortir que, du point de vue des individus, le statut social se définit aussi en référence aux autres domaines d’existence, dont la situation familiale et le statut résidentiel constituent des indices non négligeables de « réussite », a fortiori lorsqu’on est de milieu populaire. Pour ces jeunes hommes, c’est la mise en commun du peu (les revenus irréguliers du travail combinés à des revenus de solidarité) dont le couple disposera qui permettra de « s’en sortir malgré tout ». Ils procèdent à une mise à égalité des deux membres du couple dans leur capacité alternée et/ou simultanée à pourvoir au minimum le ménage en ressources financières (Faure & Le Dantec, 2015). Le modèle traditionnel en milieu populaire du salaire d’appoint de la femme venant compléter celui de l’homme n’a jamais été mis en mots par ces derniers14. Ils n’ont d’ailleurs pas manqué de préciser que leurs compagnes respectives mieux diplômées (un baccalauréat général ou un brevet de technicien supérieur en cours) seront certainement davantage en position d’avoir un salaire plus élevé et plus régulier que le leur.

L’ordre des choses familiales : contrer le manque et la discrimination

  • 15 .Jeunes sans diplômes, issus de l’immigration maghrébine, n’ayant peu ou jamais travaillé dans le (...)
  • 16 .Voir annexe électronique 2, tableau 1, https://sociologie.revues.org/2982.

12Les jeunes de ce deuxième sous‑ensemble sont tous des hommes issus de l’immigration. Ils vivent la cohabitation sur le mode d’une mise en suspens de soi plus marquée que chez les précédents. Ils nous ont fait accéder à une parole résignée, nourrie par des propriétés sociales15 qui les entravent au présent ne leur laissant entrevoir qu’un avenir limité, voire les conduisant à s’auto‑reléguer au rang de « sans avenir ». Dans un contexte global d’insécurité économique et sociale en progression, l’appartenance à une famille issue de l’immigration maghrébine rend l’indépendance d’autant plus difficile et improbable. Outre les normes familiales liées aux origines populaires et maghrébines qui favorisent le respect d’un ordre préétabli des étapes d’accès à l’âge adulte, l’autonomie résidentielle est plus tardive et incertaine en raison du faible niveau de qualification et du difficile accès à l’emploi stable, mais aussi des discriminations que ces jeunes subissent sur le marché du travail et du logement. Les données nationales corroborent cette observation. En effet, en 2009, 58,6 % des jeunes sans emploi, dont le père est de nationalité algérienne, marocaine ou tunisienne, déclarent vivre chez leurs parents contre 39,9 % des jeunes sans emploi dont le père est de nationalité française16. Par exemple, pour deux jeunes hommes enquêtés d’origine marocaine, l’absence de ressources financières repousse la perspective de l’entrée en couple et la fondation d’une famille. Elle empêche leur accès à ce qu’ils considèrent être le statut d’homme « normal ». Bien que peu mise en mots, la souffrance générée par cet accès impossible dessine les contours d’une personnalité sociale tramée par le sentiment d’impuissance et de relégation (Beaud & Pialoux, 2006) et dont les effets sont justement perceptibles dans l’auto‑restriction des possibilités d’expressivité langagière. Parallèlement, la solidarité comme norme centrale est valorisée par l’un d’eux, compensant pour partie la mésestime de soi. Ce dernier a insisté sur son importance pour faire face à la faiblesse et l’irrégularité des revenus. Non sans fierté, il a rappelé que dans sa famille, les enfants toujours cohabitants doivent faire bénéficier la maisonnée de leur accès temporaire à des revenus aussi minimes soient‑ils, sachant que lorsqu’eux‑mêmes n’en disposeront pas, ils seront à leur tour destinataires de l’aide dont ils sont aujourd’hui pourvoyeurs :

  • 17 .À 22 ans, il est titulaire d’un BEP et actuellement demandeur d’emploi non‑indemnisé.

Là comme je travaille pas et que je touche plus le chômage, je peux pas faire rentrer l’argent mais heureusement, mon père touche le chômage et il y a en ce moment l’argent du travail de mon frère17.

13La destinée personnelle des enfants est fortement subordonnée à celle du collectif familial. L’exigence d’avoir en priorité à faire face ensemble à l’adversité matérielle place au second plan les aspirations de bien être personnel. Gérer collectivement la pénurie est érigée en posture obligatoire et exemplaire dont on pressent qu’elle devra l’être dans la durée. Contrairement aux jeunes hommes de la première configuration, la possibilité de vivre en couple chez ses parents ne peut être envisagée par ces derniers. Un autre jeune homme qui n’a encore jamais accédé à un revenu a insisté sur son incapacité à aider financièrement ses parents chez qui il habite. Cette incapacité lui a instillé un sentiment de honte qui le conduit à s’effacer jusqu’à parler le moins possible :

  • 18 .Agé de 21 ans, sans diplôme, son père est ouvrier du BTP et sa mère est au foyer.

Je suis toujours dans ma chambre où je fais rien à part l’ordinateur. Quand on mange, je parle pas. Qu’est‑ce que je pourrais dire vu que je fais rien, que je rapporte rien18.

14Ce « ne rien faire » renvoie au « désœuvrement » dont parle Yves Clot (1999) et qui, aujourd’hui, dénie à nombre de jeunes – tout spécialement de jeunes hommes issus de l’immigration – la possibilité de produire, de créer et de consommer mais aussi d’échanger en entrant dans les interactions langagières et en exprimant leur subjectivité. L’absence d’emploi l’amène à considérer qu’il ne peut accéder au statut d’homme en capacité de se marier et de fonder une famille : « quelle femme voudrait d’un homme qui ne travaille pas, qui ne ramène pas d’argent à la maison ! ». S’il n’accède pas à un emploi, à 25 ans, il pourra prétendre au revenu de solidarité active (RSA) : « si avec ça je pourrai bien sûr pas me marier et fonder une famille au moins je pourrai aider un peu mes parents ». Faute d’opportunités plausibles et non sans fatalisme, l’accès futur au RSA des enfants aujourd’hui soutenus par leurs parents est envisagé comme leur donnant la possibilité de les aider en retour. Il apparait alors que, si en tant que ressource, la solidarité familiale permet aux jeunes d’être logés, elle ne favorise pas nécessairement l’accès à l’indépendance résidentielle future.

  • 19 .52,8% des plus de 26 ans sont non‑diplômés (contre 4,5% des moins de 25 ans), 31,4% ont un CAP (...)

15Quelle que soit la configuration familiale, la cohabitation de nécessité joue un rôle de filet de sécurité et permet de retarder la confrontation directe avec la précarité des enfants peu ou pas diplômés et leur mise à l’écart des protections attachées au salaire socialisé (Friot, 1999 ; Jakse, 2012) qui structurera plus ou moins drastiquement leur mode de vie futur. Constituant ainsi un soutien sans failles, leurs parents assument in fine de devoir accompagner en douceur le déclassement de leurs enfants faute d’une prise en charge de ces derniers par l’État social. Le risque est que cette situation se prolonge au‑delà de 25 ans pour ceux qui ne parviennent pas à obtenir un emploi stable. Il est à ce titre particulièrement frappant que, contrairement aux jeunes étudiants pour lesquels la cohabitation diminue avec l’avancée en âge, dans l’enquête EVA, la proportion des jeunes vivant chez leurs parents augmente régulièrement, passant même du simple au double entre 23‑24 ans et 27‑28 ans, les plus âgés correspondant à la petite minorité d’élèves entrés en retard en sixième en 1995 et peu ou pas diplômés19.

  • 20 .Les moins de 26 ans vivant chez leurs parents sont proportionnellement plus souvent sans emploi ( (...)

16L’enquête statistique nationale vient ainsi conforter nos résultats : ceux qui vivent chez leurs parents parmi les plus âgés sont proportionnellement plus souvent des hommes, en retard scolairement et sortis du secondaire sans diplôme. Plus fréquemment issus de l’immigration maghrébine, leur père est plus souvent ouvrier ou sans emploi pour les moins de 26 ans, ouvriers ou employés pour les 26 ans et plus. Ils sont davantage sans emploi, en contrat précaire de type contrat à durée déterminée (CDD) ou en stage20 (Tableau 2). Les inégalités dans la possibilité d’accès à un logement indépendant se cumulent (Dubet, 2001) et sont le produit à la fois d’inégalités économiques et de différences socio‑culturelles en matière de conception de l’autonomie et de l’ordre des étapes d’accès à l’âge adulte. On peut alors parler de « sélectivité sociale de la décohabitation » (Solard & Coppoletta, 2014). L’enquête Génération du CEREQ montre de son côté que, du fait de la crise économique, les possibilités de décohabitation se sont par ailleurs réduites pour les jeunes chômeurs ou en situation de précarité qui ont moins de chances en 2010 qu’en 2007 de quitter le foyer familial (Portela & Dezenaire, 2014). Cela amène alors à s’interroger sur les spécificités des jeunes qui, pourtant en situation de relative précarité socio‑économique, ont décohabité que ce soit avec ou sans le soutien de leur famille.

La décohabitation protégée : vivre chez soi grâce à ses proches

  • 21 .Pour une présentation détaillée des jeunes du groupe voir l’annexe électronique 1, https://sociol (...)

17Les caractéristiques socio‑démographiques de ces jeunes les distinguent sensiblement des cohabitants de nécessité. Ils sont globalement plus âgés et davantage diplômés21. Presque tous sont sans emploi ou détenteurs d’un « petit boulot » peu rémunérateur, sans garantie d’échapper au déclassement alors que leurs parents, bénéficiaires des Trente glorieuses ont ou ont eu une vie professionnelle stable sur des emplois souvent plus qualifiés que ceux des jeunes cohabitants. Les parents sont plus souvent propriétaires de leur habitat – généralement d’une maison individuelle –, et sont aussi plus souvent séparés (2/3) que dans les autres groupes. L’identification de ressorts et de modalités de décohabitation protégée différents, nous conduit à répartir ces jeunes en deux sous‑ensembles : ceux dont les parents ou les collatéraux ont un petit patrimoine immobilier mis à leur disposition à titre gratuit ou avec un loyer modique ; ceux dont l’autonomie résidentielle se noue en couple et où le(a) conjoint(e) ainsi que les parents respectifs contribuent de façon significative aux ressources disponibles. Cette partition effectuée en fonction des types de soutiens économiques (familial, conjugal, étatique) dont les jeunes disposent, correspond à des configurations familiales différenciées, ancrées ou non et à des degrés divers dans le monde populaire, ainsi qu’à des situations sociales distinctes : les uns sont confrontés à la difficile insertion professionnelle, les autres – exclusivement des jeunes femmes – sont en cours d’études, mais sans garantie d’être prémunies contre le risque de chômage.

Tableau 2. Conditions de logement en 2009‑2010, sous‑population par âge (%)

Moins de 26 ans

26 ans et plus

Domicile parents ou

chez membre de la famille

Logement indép. à la famille ou à vous‑même

Logement indép. en location (ou colocation)

Autres

Domicile parents ou chez membre de la famille

Logement indép. à la famille ou à vous‑même

Logement indép. en location (ou colocation)

Autres

Sexe

homme

30,32

14,34

51,19

4,15

41,31

14,36

41,27

3,05

femme

21,53

18,52

57,03

2,92

24,02

21,63

51,37

2,97

Diplôme

bac + 2 et +

22,07

16,41

58,38

3,13

29,98

25,52

39,28

5,22

bac

26,19

16,18

53,36

4,26

30,47

21,34

44,78

3,41

brevet

30,10

17,49

49,63

2,78

27,13

14,13

58,06

0,68

cap/bep

29,23

17,68

49,71

3,38

30,99

19,36

45,29

4,36

non diplomé

33,74

14,80

47,43

4,02

40,01

13,55

44,68

1,77

Situation d’emploi

en emploi

22,53

18,11

55,96

3,39

31,69

19,35

46,67

2,29

sans emploi : en recherche

46,21

10,03

41,07

2,69

42,45

12,15

39,81

5,60

sans : pas de recherche

26,53

9,82

57,01

6,64

30,71

13,98

51,91

3,40

Statut d’emploi

emplois précaires

28,68

10,90

55,71

4,70

41,43

16,72

39,74

2,11

cdi

19,88

21,11

56,18

2,83

27,96

20,62

49,02

2,40

PCS du chef de famille

agriculteurs

21,09

19,17

57,90

1,84

21,31

22,90

53,93

1,86

art. comm.

chef entrep.

25,30

18,65

53,24

2,81

31,63

27,33

36,78

4,27

cadres, PIS

23,15

13,52

59,46

3,86

38,48

21,38

40,14

0,00

Prof. interm.

24,77

14,39

56,16

4,68

25,07

18,61

48,79

7,54

employés

25,17

15,66

55,89

3,27

32,45

17,53

47,17

2,85

ouvriers

28,43

19,40

48,89

3,28

38,28

15,71

43,81

2,21

ss act. prof.

43,12

5,41

49,58

1,89

24,56

12,94

59,74

2,77

Nationalite du père

française

23,40

17,40

55,63

3,57

31,25

19,93

46,19

2,63

d’un pays d’Europe

29,87

26,63

40,78

2,72

47,20

5,06

30,92

16,81

d’un pays du Maghreb

57,72

4,78

35,87

1,63

39,17

6,25

50,55

4,03

autres pays

45,85

3,63

43,41

7,11

43,12

16,89

38,14

1,85

Source : enquête Entrée dans la vie adulte ; enquête de l’Insee qui s’appuie sur le panel d’élèves (n = 17 830) suivi par la Direction de l’évaluation, de la prospective et de la performance (DEPP).

Quand le patrimoine immobilier familial favorise la décohabitation

  • 22 .Dans notre enquête, quatre des jeunes correspondent à ce sous‑groupe. Ils rejoignent ainsi les je (...)
  • 23 .Ces derniers correspondent au niveau national à 10,7% de ceux qui sont sans emploi, 12,1% en em (...)

18Par‑delà la variété des postes de travail en termes de niveau de qualification et de reconnaissance afférente, les parents salariés de ces jeunes – toujours en activité ou déjà retraités – n’ont pas été confrontés au chômage. Qu’il s’agisse d’une maison individuelle ou d’un appartement dans un immeuble collectif, tous sont devenus propriétaires de leur résidence principale quand leurs enfants étaient en bas âge. Le divorce ou la séparation n’a pas eu d’incidences trop négatives sur le statut résidentiel de chacun des parents qui restent propriétaires de leur résidence principale. Ces jeunes ont au moins un de leurs ascendants propriétaire d’un second logement dont ils bénéficient à titre gratuit ou sur la base d’un loyer modique. Proches des enfants soutenus résidentiellement par la génération des baby‑boomers (Bonvalet et al., 2011), ils font ainsi partie de la petite mais non‑marginale minorité dans l’enquête EVA (16,6 %)22 des jeunes décohabitants protégés par le patrimoine immobilier de leurs parents et qui accèdent à une part d’autonomie malgré leur situation socio‑professionnelle précaire23. Ils aspirent toujours à une relative réussite sociale qui leur permettrait de cantonner le déclassement à une situation temporaire mais ne s’inquiètent pas moins de ce qu’il pourrait advenir si la stabilité d’emploi tardait à venir.

  • 24 .Après un baccalauréat professionnel, l’un a commencé une année d’espagnol à l’université qu’il a (...)

19Selon leur appartenance sociale, mais aussi selon qu’il s’agit d’hommes ou de femmes, le clivage du point de vue des circonstances et de l’âge de décohabitation est très net. Les jeunes hommes de milieu populaire concernés ont obtenu le baccalauréat et engagé des études supérieures qu’ils n’ont pas terminées24. Confrontés depuis plusieurs années à la précarité socio‑économique faite d’alternance de chômage et de petits boulots, déclarés ou non, ils ont prolongé la cohabitation parentale jusqu’à 25 ans se rapprochant ainsi des jeunes du premier groupe (voir supra). Sans activité professionnelle et sans relation amoureuse stable, la décohabitation ne semble s’être imposée que tardivement. Ces observations sont confirmées au niveau national par les résultats de l’enquête EVA (Tableau 1) (Despalins & De Saint‑Pol, 2012), de l’enquête Trajectoires et Origines (Hamel et al., 2011) et de celle du CEREQ (Portela & Dezenaire, 2014) qui soulignent les différences genrées en matière d’autonomisation résidentielle, les jeunes femmes se caractérisant toujours par un départ plus précoce que les hommes en raison de la primauté du calendrier familial.

20Le prolongement de la cohabitation, qui a pu relever de l’ordre de l’évidence en raison de l’inconditionnalité du soutien parental, tend avec l’avancée en âge à être perçue comme devenant problématique par les jeunes. Ceux‑ci s’engagent alors dans une démarche d’autonomisation au gré de circonstances saisies au vol. Ainsi, l’un des jeunes hommes alors âgé de 24 ans profite de l’opportunité d’un appartement libéré dont sa tante est propriétaire, pour accéder à un logement à faible coût, pour lequel il n’a pas de caution à payer, tandis que l’autre, à 28 ans, fait le choix de rester dans l’appartement dont sa mère est propriétaire, qu’elle quitte pour revenir vivre avec son père. Il s’agit dans les deux cas de décohabitations tardives alors que les jeunes, bien qu’en situation socio‑professionnelle précaire, étaient demandeurs d’emploi indemnisés ou en droit de bénéficier du RSA. Tous deux aspirent à devenir auto‑entrepreneurs, l’un en tant que jardinier à domicile, l’autre comme enseignant de guitare après une formation au conservatoire. Ce dernier ne renonce ainsi pas à ses aspirations sociales tout en les articulant à des conditions d’exercice qui risquent de n’être guère rémunératrices et de relever d’un aménagement du chômage plus que d’une véritable sortie de la précarité (Abdelnour, 2014).

  • 25 .Il s’agit d’enfants d’enseignants.
  • 26 .Le jeune homme a d’abord décohabité afin de poursuivre ses études dans une autre ville universita (...)
  • 27 .Cette jeune femme a tout d’abord obtenu une licence de lettres classiques, puis a préparé sans l’ (...)
  • 28 .«J’en avais assez marre d’avoir toutes mes affaires dans les cartons», dit‑elle au cours de l’e (...)
  • 29 .Elle n’avait, le mois précédent l’enquête, pas encore intégré son nouvel appartement et n’avait d (...)

21Les jeunes de milieu plus favorisé25 et diplômés du supérieur ont à la différence des précédents plusieurs expériences résidentielles en logement autonome. Ils ont d’abord quitté le domicile parental dans le cadre de la norme classique de décohabitation étudiante, en étant soutenus par les parents (Robert‑Bobée, 2002), mais ont bénéficié d’un logement dont ces derniers étaient propriétaires, à des moments différents de leur parcours résidentiel. Par exemple, ce soutien intervient pour un jeune homme pendant les études supérieures, lorsqu’il s’installe en couple26. Une jeune femme, âgée de 31 ans, recohabitante depuis l’obtention de sa deuxième année de master27, alors qu’elle peine à trouver un emploi, se voit proposer par sa mère de vivre dans un appartement acheté pour l’occasion par cette dernière. Cet achat lui permet de répondre à l’un des trois critères principaux d’entrée dans la vie adulte faute de pouvoir s’insérer professionnellement et/ou construire une vie de couple. Sa mère joue un rôle de soutien indéfectible face à la conjoncture économique. Ce soutien est vécu selon les dires maternels rapportés par sa fille comme une « aide normale » pour permettre un « semblant de vie normale » en attendant une insertion socio‑économique qui tarde. L’enjeu est de pouvoir enfin « s’installer au plus vite » dans ses meubles28 à un âge où la cohabitation chez les parents est vécue comme relevant majoritairement de l’anormalité sociale pour les jeunes français, à la différence des situations italienne ou espagnole (Cicchelli & Merico, 2007 ; Van de Velde, 2008) et ce d’autant qu’ayant dépassé la trentaine, elle n’est plus perçue comme jeune, bien qu’elle en fasse toujours partie du point de vue de son âge social29.

  • 30 .Fixée à 25 ans révolus par l’Insee, cette limite d’âge est également utilisée par les politiques (...)

22Si le budget reste serré, puisque ces jeunes vivent des ressources minimes attachées au salaire socialisé (indemnités de chômage) ou à la solidarité nationale (RSA), l’aide familiale vient les compléter rendant ainsi viable l’autonomie résidentielle. Ce cumul permet aussi de maintenir des dépenses et activités de loisir considérées comme essentielles voire incontournables (« je ne voulais pas faire une croix sur les loisirs » indique la jeune femme vivant dans l’appartement acquis par sa mère) parce qu’elles contribuent à maintenir ces jeunes dans des pratiques sociales et des sociabilités dont l’absence d’activité économique tend à les tenir à distance. Le récit se structure alors dans un rapport d’opposition entre « faire quelque chose » et ne rien faire, qui relève de la figure repoussoir d’une appartenance « populaire » de surcroît de type underclass à laquelle ils ne souhaitent pas s’identifier et qui de fait, correspond à la situation d’une partie de ceux qui cohabitent (voir infra). Ceci est particulièrement marqué pour la jeune femme évoquée ci‑dessus, dont la mère est enseignante agrégée, mais dont le père, avec qui elle a très peu vécu, fait partie des fractions populaires les plus déstabilisées : sa crainte de déclassement peut être lue comme relevant d’une véritable hantise sociale d’être « tirée par le bas » par ses origines paternelles. Ces jeunes parviennent ainsi à se construire une vie autonome tout en étant en double situation de dépendance, à l’égard de l’état social et de leur famille ou collatéraux. L’aide apportée pour accéder à un logement alors que l’âge de fin de la jeunesse30 est dépassé n’est cependant pas toujours vécue sereinement – « j’ai l’impression quand je vais acheter quelque chose que je prends dans le porte‑monnaie de ma mère et que je paye pas », nous dit l’une des jeunes femmes – mais permet, par contraste avec le premier groupe, de répondre à la norme de l’autonomie, dominante dans notre société (Van de Velde, 2008). Elle constitue, en outre, un moyen de contrer le déclassement social effectif dans la sphère professionnelle en opérant par compensation dans la sphère résidentielle, en tant que sphère d’ajustement social (Debroux, 2013).

23Alors que le salaire socialisé comme vecteur de sécurisation des parcours de vie n’est plus aussi opérant qu’il a pu l’être pendant les Trente glorieuses, la possession d’un bien immobilier en plus de son habitat en propriété s’avère aujourd’hui un facteur apte à contenir la dégradation des conditions de vie d’une partie des familles populaires et moyennes qui sont ainsi en mesure d’aider au logement de leurs enfants devenus adultes mais restant durablement à l’écart de l’emploi. C’est notamment le cas pour ceux qui vivent dans une ville moyenne (Perpignan), où le coût du logement reste peu élevé, contrebalançant ainsi des perspectives d’emploi très réduites localement. Même si dans notre corpus cette opportunité demeure très minoritaire, elle n’en témoigne pas moins d’une tendance dont il conviendrait de mieux étudier les effets. De notre analyse, il importe de retenir que, comme amortisseur social, ce second bien immobilier tend à différencier les familles populaires qui en sont détentrices et peuvent en faire bénéficier leurs enfants, des autres. Il contribue aussi au rapprochement de ces familles avec celles des classes moyennes et supérieures qui usent de leur patrimoine pour venir en aide à leurs enfants dont l’autonomie financière tarde à venir malgré des études supérieures et qui pour leur part risquent d’intérioriser des éléments propices au développement d’une subjectivité de « dominé ».

Quand les jeunes femmes s’attachent à concilier les modes de vie étudiant et populaire

24Toutes les jeunes femmes de ce sous‑groupe sont en couple hétérosexuel et ont poursuivi ou poursuivent encore pour la moitié d’entre‑elles des études supérieures au moins jusqu’en troisième année de licence. Leur parcours universitaire s’avère généralement atypique. Bien que souvent titulaires d’un baccalauréat S et ayant engagé des études supérieures en lien avec ce dernier, elles se sont cependant réorientées dans des filières réputées moins valorisées. Comme les cohabitants de nécessité, ces jeunes femmes appartiennent presque toutes à des familles populaires relativement stabilisées au plan professionnel. Elles ont décohabité au cours de leurs études en s’installant en couple, combinant ainsi le modèle populaire d’entrée dans la vie adulte (Galland, 2011 [1991]) et le modèle étudiant d’accès à l’autonomie résidentielle sans indépendance financière. Seule l’une d’elles – d’origine maghrébine – s’inscrit partiellement dans le calendrier d’accès à la vie adulte traditionnel en milieu populaire et d’« ascendance migrante» (Guénif‑Souilamas, 2005). Son entrée en couple via le mariage, n’intervient que lorsqu’elle‑même démarre un parcours d’accès à l’emploi avec l’objectif de trouver une activité professionnelle en adéquation avec sa formation tandis que son compagnon termine celle‑ci sur la base d’un contrat d’apprentissage en alternance.

  • 31 .Le conjoint de l’une est en CDI sur un poste d’agent responsable de l’entretien des locaux d’une (...)
  • 32 . Voir annexe électronique 2, tableau 6, https://sociologie.revues.org/2982.
  • 33 .Entre le moment de la décohabitation et celui de l’entretien, certaines des jeunes femmes et leur (...)

25L’autonomie résidentielle de ces jeunes femmes repose sur des ressources économiques articulant celles modestes de leurs compagnons (Portella et al., 2014) et les leurs (revenus du travail, bourses), complétées par celles de leurs familles respectives. Outre d’être minimes, ces ressources enregistrent souvent un mouvement à la baisse lié à la précarité d’emploi des compagnons qui, à l’exception d’un seul, n’ont pas poursuivi d’études supérieures et occupent des emplois peu qualifiés, faiblement rémunérés et/ou irréguliers31. Elles font ainsi partie de la majorité (50,7 %) des décohabitants qui, parmi ceux qui déclarent percevoir une aide parentale entre 23 ans et 28 ans en 2009 (enquête EVA), sont encore en formation32. S’il ne s’agit jamais d’une contribution mensuelle régulière au paiement du loyer, elles savent toutefois qu’elles peuvent compter sur un soutien sous forme de don d’argent, de prêt ou d’aides en nature. Toutes ont signalé recevoir des cadeaux, être régulièrement invitées à partager des repas et/ou profiter de « petits plats » préparés qu’elles emportent au domicile conjugal. Dans ce contexte, si la décohabitation en couple parvient généralement à se maintenir, elle n’exclut pas des phases de retour au domicile parental en cas de difficulté socio‑économique. Ainsi, l’une des jeunes femmes vivant en couple depuis cinq ans, d’un commun accord avec son conjoint, est déjà retournée chez ses parents et lui chez les siens33.

26Ici, malgré la faiblesse et les aléas des revenus et les incertitudes quant à la valorisation future des études sur le marché de l’emploi et du travail, la décohabitation protégée est en quelque sorte portée par la façon volontaire dont ces jeunes femmes parviennent tant bien que mal à concilier les opportunités du mode de vie étudiant en décohabitant et les contraintes du mode de vie populaire. Bien que peu diplômés et confrontés à un parcours d’emploi très précaire, leurs compagnons les encouragent plutôt à persister dans leur quête « d’une belle situation » dont les contours sont à distance de leurs parcours scolaire et univers de travail. Ils se rapprochent ainsi des jeunes hommes cohabitants de nécessité qui ont également des compagnes plus diplômées et dont les perspectives professionnelles sont meilleures que les leurs.

La décohabitation non‑protégée : ne pouvoir compter que sur soi et l’État social

  • 34 .Pour une présentation détaillée des jeunes du groupe, voir l’annexe électronique 1, https://socio (...)
  • 35 .Dans l’enquête EVA, les jeunes sans emploi sont proportionnellement moins souvent en logement ind (...)

27Plus jeunes que ceux du second groupe, les décohabitants non‑protégés34 se rapprochent du premier par leur âge, leurs origines sociales souvent populaires et leurs niveaux de qualification. Presque tous sont des enfants de personnes divorcées ; ils sont soit en situation de rupture à l’égard de leurs familles, soit leurs parents sont décédés. Les séparations, recompositions familiales et accidents biographiques ne sont pas sans conséquences sur l’âge, les circonstances de décohabitation et la faiblesse du soutien familial (Attias‑Donfut & Wolff, 2001 ; Villeneuve‑Gokalp, 2005 ; Faure & Le Dantec, 2013). Pour la plupart d’entre eux, les parents se situent dans les fractions des classes populaires les plus précaires (mères aux minima sociaux, pères sans emploi, alcooliques ou en prison) et sont nettement plus souvent locataires que propriétaires. C’est dans cet archétype que l’habitat dans le parc HLM est le plus répandu.35 Plus exposés à l’insécurité présente, souvent plus proches de la figure du désaffilié (Castel, 1994), ils sont contraints de recourir à des aides publiques en devant montrer qu’ils les méritent. Ils sont aussi souvent habitués à faire face à l’adversité en se refusant à la résignation, se constituant ainsi un affect positif (Lordon, 2013) sans doute propice au détachement partiel des normalisations institutionnelles qui, au nom du réalisme social, travaillent à les maintenir dans les limites d’un monde populaire n’autorisant au mieux que de petites aspirations.

  • 36 .Cinq jeunes femmes sur les sept.

28Ils bénéficient de l’autonomie résidentielle en vivant en logement indépendant et accèdent ainsi à un des critères d’entrée dans l’âge adulte, contrairement aux jeunes du premier groupe. Comme ceux du second, ils font partie des jeunes qui, sans emploi ou en emploi précaire, vivent en logement indépendant36, bien que n’étant protégés ni par le réseau de parenté par filiation ou alliance, ni par leur conjoint. La décohabitation non‑protégée est vécue différemment selon le sexe et selon que les individus sont héritiers de la précarité ou déclassés. Par‑delà les différences objectives ces expériences produisent des effets subjectifs qui contribuent à redessiner pour partie leurs appartenances sociales.

Des jeunes femmes en charge d’autrui sécurisées et des jeunes hommes menacés par l’absence de toit

  • 37 .Deux sont au foyer, une étudiante, la quatrième en congé maternité et la dernière en recherche d’ (...)
  • 38 .L’association d’aide au logement dans le cadre de laquelle nous avons rencontré une partie des en (...)

29À la différence des hommes, les jeunes femmes de ce groupe sont toutes diplômées, principalement de l’enseignement professionnel ou technologique. La plupart d’entre elles, assument la fonction de chargées de famille : elles ont ou vont avoir un enfant ou sont en charge d’un frère mineur. Cette situation fait reposer sur elles une charge relativement lourde, qui n’est pas sans conséquences sur leur possibilité présente d’accéder à un emploi37 et sur leurs perspectives d’insertion professionnelle à moyen terme (Testenoire, 2006). Cela les amène à se construire subjectivement en référence à un statut d’adulte responsable d’autrui qui les fait exister socialement et leur confère une meilleure estime de soi (« la petite elle m’a vraiment changée », précise une des jeunes femmes, mère d’une enfant de neuf mois), favorisant le changement par la socialisation au rôle de parent (Céroux, 2006 ; Faure‑Rouesnel, 2009). Objectivement, cette situation leur permet l’octroi de ressources financières (allocations familiales et/ou de congé maternité, RSA), certes peu élevées, mais sûres et régulières, et favorise leur accès à des aides institutionnelles (Paugam, 1993) en bénéficiant d’un logement social38. Peu ou pas soutenues par leurs familles, elles sont au contraire en situation de jouer un rôle « protecteur » à l’égard d’enfants dont elles ont la responsabilité, ce qui en retour contribue à les protéger. Ces jeunes femmes correspondent peu ou prou au modèle populaire féminin (Galland, 2011 [1991]) légèrement aménagé de l’entrée dans la vie adulte – que leur décohabitation soit ou non acceptée par les parents –, en débutant celle‑ci par l’entrée dans la parentalité, associée ou pas à la conjugalité.

  • 39 .Notons cependant que deux jeunes femmes ont également traversé des épisodes sans logement. À ce p (...)
  • 40 .Logement social, hébergement chez autrui, foyers.

30À l’inverse, les jeunes hommes n’ayant pas encore l’âge requis pour prétendre au RSA, et sans enfants, ne disposent d’autres ressources que des éventuelles indemnités de chômage. Souvent amenés à quitter le domicile parental dans un contexte conflictuel, ils se rapprochent d’une décohabitation de type « anomique » décrite par Blandine Mortain et Cécile Vignal (2013). Ils sont par voie de conséquence plus exposés à l’expérience de l’errance et de la rue39. Si plusieurs d’entre eux ont à leur actif des expériences professionnelles qui ne sont pas négligeables, ce qui les distingue nettement de ceux du premier groupe, ils n’ont pu convertir cette expérience en emploi stable et alternent périodes de chômage indemnisées et de travail (CDD, intérim, activités non‑déclarées). À l’incertitude socio‑professionnelle, s’ajoute l’incertitude résidentielle : leur parcours est ponctué de périodes en location dans le parc privé et de périodes d’hébergement précaires et temporaires40 voire d’absence de logement. Dans les récits de ces jeunes hommes, l’expérience réelle ou potentielle de la rue, n’est jamais bien loin et les situe dans la forme la plus totale de précarité dont les conséquences ultimes conduisent à l’impossibilité d’avoir un toit pour soi et au risque subjectif de perdre sa dignité. Certains d’entre eux rappellent alors la figure historique du vagabond (Castel, 1994) contre laquelle ils tentent cependant de lutter en construisant un discours sur soi fondé sur le maintien de la face qui se traduit par un travail sur l’être et le paraître. Un des jeunes hommes élabore un récit fondé sur la volonté individuelle qui l’amène à répéter « je fais ma route tout seul ». Un autre jeune homme souligne combien, lorsqu’il était sans domicile fixe, il lui importait de ne rien laisser transparaître concernant sa situation :

Ce que j’aimais pas, c’était physiquement de voir que tu vis dehors et ça je ne l’acceptais pas. Et ça, personne le savait parce que je faisais tout pour enfin… je m’habillais bien… on voyait pas que j’étais SDF. Je me lavais les dents.

Héritiers de la précarité et enfants déclassés confrontés à l’incertitude résidentielle : similitudes et disparités

  • 41 .Trois sur onze.

31Par‑delà les différences entre hommes et femmes, l’ensemble des jeunes de ce groupe fait partie, au moment où nous les rencontrons, des moins protégés de la société. Presque tous sont des héritiers de la précarité qui reproduisent la position de leurs parents et vivent leur situation comme relevant d’une sorte de destin social contre lequel, par refus de fatalisme, ils tentent de lutter sans parvenir à véritablement s’en affranchir. En revanche, ceux qui ne sont pas issus de ces milieux41 et sont, au moins temporairement des déclassés, ne se reconnaissent pas subjectivement dans une appartenance populaire. Ce refus de s’identifier aux classes populaires et à ses franges les plus paupérisées se traduit notamment par des aspirations sociales fortes et une volonté de faire face à l’adversité en tentant, coûte que coûte, d’obtenir une position stable et enviable dans la société. Il s’agit par exemple de trouver un emploi durable et intéressant dans une autre ville en démarrant une formation qualifiante dans une visée promotionnelle, de poursuivre des études supérieures avec un enfant à sa charge ou bien encore d’obtenir un logement dans le secteur privé en dehors de ce qu’ils nomment les « quartiers » ou les « cités » alors même que leurs ressources financières sont très faibles. Comme le souligne une jeune femme originaire d’Algérie, diplômée, issue des classes moyennes supérieures mais allocataire du RSA et résidant en logement social :

En fait, en toute honnêteté, j’aime pas habiter dans les cités. Par exemple Vaulx‑en‑Velin, la Duchère… ce genre de cités. Ça me fait peur, oui … Et puis voilà, pour ma sécurité et celle de mon fils. Je sais pas pour grandir, pour lui, dans sa tête… Je ne veux pas qu’il grandisse dans ce milieu. Je veux qu’il grandisse dans un quartier paisible.

  • 42 .À l’issue du divorce avec son mari, elle obtiendra non sans difficultés la garde de son enfant qu (...)

32Cette jeune femme est arrivée en France après avoir fui le contrôle strict exercé par sa belle famille chez qui elle résidait depuis son mariage42. Ce témoignage montre à la fois le refus d’une identification aux classes populaires mais également la crainte de la transmission du déclassement social à la génération suivante. De surcroît, alors que la jeune femme a quitté son pays dans une visée émancipatrice, elle risque d’être renvoyée, ainsi que son fils, à l’imaginaire social dévalorisant dont sont destinataires les personnes issues de l’immigration, a fortiori maghrébine, ce d’autant plus qu’elle doit assumer la situation de monoparentalité.

  • 43 .Il s’agit d’une déclinaison du service d’aide médicale urgente (SAMU).
  • 44 .L’association d’aide au logement dans le cadre de laquelle nous avons réalisé une partie des entr (...)
  • 45 .Cinq sont en location dans le secteur privé, quatre en logement aidé, un est hébergé à titre grat (...)
  • 46 .Quatre ont vécu l’expérience de la rue, quatre celle des foyers, huit ont vécu des hébergements t (...)

33L’absence de statut socio‑professionnel associée au défaut où à la faiblesse du soutien parental les place néanmoins tous en situation de pauvreté et d’incertitude économique et professionnelle forte, à laquelle répond en écho leur incertitude résidentielle. Celle‑ci varie selon le type d’hébergement et la durée pour laquelle ils sont susceptibles d’en bénéficier, oscillant entre trois ans et une nuit. Ils ont par exemple accès au mieux à un logement locatif dans le secteur privé, au pire au SAMU social43, en passant par des possibilités de logement aidé temporaire44 ou des hébergements à titre gratuit chez des amis sur des courtes durées45. Ils ont par ailleurs tous connu diverses situations résidentielles46. Ainsi, ces conditions de logement produisent un sentiment général d’incertitude du lendemain qui ne favorise pas l’appropriation de l’espace habité et la possible construction d’un « chez soi ». À titre d’exemple, un des jeunes hommes, qui vit depuis bientôt deux ans en logement aidé temporaire et qui a auparavant connu l’expérience de la rue indique ne pas avoir encore acheté de meuble pour ranger ses vêtements qu’il entrepose sur un petit étendoir :

Je me dis toujours, je sais pas où je vais atterrir après, donc je trouve que ça me sert pas de l’acheter maintenant. Je préfère investir quand j’aurai un autre appartement.

34Cette incertitude est structurante de leur rapport au temps et au monde et les situe de fait dans une appartenance populaire, même s’ils ne s’y reconnaissent pas tous, où le présent est prédominant puisque l’on ne sait jamais de quoi demain sera fait et qui rend par conséquent délicat de se projeter dans l’avenir.

35Qu’ils soient héritiers ou déclassés, les jeunes femmes et hommes relevant de la décohabitation non‑protégée font donc tous face à des conditions matérielles de vie particulièrement difficiles qu’ils affrontent sans le soutien de leur famille. Toutefois, ils ne se distinguent pas moins dans leur manière d’éprouver subjectivement une réalité objective sous le sceau d’une précarité élevée. Les héritiers de la précarité mobilisent les dispositions à savoir faire avec l’adversité qui leur ont été transmises et dont ils parviennent à tirer leur dignité. Quant aux jeunes en déclassement, ils s’accrochent à l’idée qu’ils disposent de ressources, socialement construites, dans lesquelles ils peuvent puiser et qui finiront par être opérantes. Mais si l’infortune socio‑économique des seconds venait à perdurer, on peut s’interroger sur ce qu’il adviendra de leur « quant à soi » jusque‑là construit dans un univers social offrant des opportunités diverses et variées. En conséquence, on peut également se demander si la perception sociale de leur existence ne s’ancrera pas, avec le temps, dans le registre de la limitation et du fatalisme.

CONCLUSION

36Au début de la décennie 1980, Pierre Bourdieu (1981) rappelait avec justesse combien l’emploi du singulier pour parler de la jeunesse, tendait à subsumer sous le même terme, des réalités et expériences sociales fort différentes de cet âge de la vie. Il proposait de distinguer au moins deux jeunesses : étudiante et ouvrière, opposition qui déjà, tendait à se fissurer. Aujourd’hui, dans un contexte de profonde transformation des rapports sociaux, cette distinction n’est bien sûr plus qu’imparfaitement opératoire. La démocratisation relative des études supérieures favorisant l’ouverture et l’accès à la culture des milieux les plus populaires (Schwartz, 1997), est notamment mise à mal en raison des effets de la crise économique persistante sur l’accès des jeunes à un emploi stable, avec un risque de déclassement même pour les plus diplômés (Peugny, 2009 ; Chauvel, 2012).

  • 47 .Tandis que, selon Stéphane Beaud (2009), les jeunes diplômés des milieux les plus favorisés franc (...)

37Nous avons vu, comme l’ont également souligné d’autres auteurs (Beaud, 2009 ; Renahy, 2010), que les jeunes hommes les moins diplômés, subissent de manière plus marquée à la fois objectivement et subjectivement, l’allongement de l’insertion professionnelle. Il semble cependant délicat de généraliser ce constat à l’ensemble des jeunes de milieux populaires en suggérant une inversion de l’opposition entre modèle populaire et modèle bourgeois comme le propose Stéphane Beaud. D’une part, si l’allongement « subi » est aujourd’hui du côté du populaire47, ce constat est valable pour les hommes bien plus que pour les jeunes femmes (Battagliola, 2001 ; Testenoire, 2006). D’autre part, on peut repérer une diversité de situations parmi ces jeunes hommes, les uns étant davantage en position d’opérer des ajustements en contexte et de composer avec les différents modèles que les autres.

  • 48 .Dans cet article, les jeunesses issues des classes populaires stabilisées et précarisées ainsi qu (...)

38L’analyse a permis d’observer un brouillage entre différentes jeunesses48 en raison de la reconfiguration des appartenances sociales d’une partie de ces jeunes, sans pour autant remettre véritablement en question les inégalités sociales et le processus de leur reproduction. L’article montre la part de commune expérience des jeunes en situation de précarité, qu’ils soient issus de milieux favorisés ou défavorisés, qu’ils aient ou non poursuivi des études. Celle‑ci contribue à l’extension du domaine du désavantage social (Schwartz, 2009) et se traduit par un sentiment d’incertitude qui n’est pas sans effets sur d’autres dimensions de la vie que la stricte dimension professionnelle, en rendant plus difficile pour certains l’accès à l’autonomie résidentielle et/où la construction d’une vie affective mais également en mettant à mal leur sentiment de « dignité personnelle » (Weber, 1991). Par‑delà cette commune expérience, la recherche souligne la diversité des situations vécues en fonction des origines sociales des jeunes, du soutien familial dont ils disposent ou non, de leurs niveaux de diplôme ainsi que des différenciations genrées à l’œuvre dans l’expérience de la précarité socio‑économique. De cette analyse, trois éléments méritent d’être mis en exergue : la complexification des conditions d’entrée dans l’âge adulte, la reconfiguration des rapports sociaux de sexe en milieu populaire et celle des appartenances sociales dans un contexte de précarité socio‑économique qui affecte différentes franges de la jeunesse, populaire et étudiante.

39Les jeunes soutenus par leurs parents dans le cadre d’une cohabitation prolongée connaissent une période moratoire contrainte, où le temps est, au moins pour une partie d’entre eux, comme mis en suspens entre enfance et âge adulte, à distance du report de l’« entrée dans la vie » (Galland, 2000) de la jeunesse étudiante. Pour ceux qui le sont sur la base de la mise à disposition d’un logement grâce au patrimoine familial, la période moratoire se prolonge dans l’autonomie résidentielle sans indépendance économique faute de pouvoir accéder à un emploi stable et sans non plus être associée au statut étudiant et à son mode de vie. Seuls les jeunes non‑soutenus par leurs familles ne connaissent pas de période moratoire et accèdent rapidement au statut adulte notamment grâce à une indépendance résidentielle mais dans des conditions économiques et affectives souvent très difficiles.

40Les jeunes femmes, toutes plus diplômées que les hommes à position résidentielle et familiale comparable, vivent leurs situations de façon moins fataliste que ces derniers et tendent à jouer avec le modèle féminin traditionnel pour lequel l’entrée dans la vie adulte se traduit en priorité sur le plan familial en accédant ainsi plus souvent et dans des conditions plus favorables à un logement indépendant. Les femmes apparaissent au bout du compte, davantage tirer parti, au moment de l’enquête, des situations qu’elles expérimentent et donnent à penser que, peut‑être, à la reconfiguration des appartenances sociales s’adjoindra une reconfiguration des rapports sociaux de sexe en milieu populaire (Bouchet‑Vala, 2015).

  • 49 .Selon le conseil d’analyse économique, début 2013, près de 1,9 millions de jeunes de 15 ans à 29  (...)

41Enfin, cette reconfiguration s’opère tant par le bas que par le haut. Si globalement les catégories populaires sont aujourd’hui traversées par des normes hétéronomes, contribuant ainsi à un relatif effritement de leur sentiment d’appartenance sociale, dans le même temps, la précarisation forte d’une partie des jeunes concernés49 tend à renforcer la perception de leur différence avec les classes moyennes. Ils encourent en effet un risque de déclassement par comparaison avec leurs parents, membres des fractions populaires stabilisées. Les jeunes des classes moyennes sont également éprouvés par l’expérience du déclassement pouvant se traduire par un sentiment de frustration, des changements dans le mode de vie et des prises de position dans l’espace social. Vivant au quotidien une pénurie économique qui les place de fait au bas de l’échelle, les jeunes affrontant le risque de déclassement font l’expérience concrète de l’incertitude du lendemain et tendent probablement à intérioriser subjectivement un rapport au temps populaire qui interfère avec un ethos résistant à cette assignation sociale. Notre analyse invite ainsi à approfondir le questionnement sur les implications subjectives de la mobilité sociale descendante encore peu travaillé (Gaulejac, 1987 ; Peugny, 2009).

42Malgré une commune expérience de la précarité socio‑économique, les jeunes enquêtés sont bien sûr loin d’être égaux dans la manière dont ils y font face et dont, objectivement, ils peuvent s’en extraire, a fortiori lorsqu’ils sont issus de l’immigration et qu’ils font l’objet de discriminations sociales. Alors que certains cumulent les difficultés, d’autres, plus diplômés, peuvent continuer à aspirer socialement à un avenir meilleur et ont toujours la possibilité de se reconnaître comme appartenant aux classes moyennes en étant protégés par leurs familles ; d’autant plus s’ils sont détenteurs indirects d’un petit patrimoine dont ils bénéficient pour se loger. La tendance à la repatrimonialisation (Baudelot, 2011) de la société française donne ici à voir ses effets dès l’entrée dans l’âge adulte, en creusant les écarts entre jeunes précaires dépossédés de tout ou presque et jeunes précaires issus de familles de petits possédants. Si leurs ascendants ont pu, pour partie, bénéficier des potentialités de sécurisation et de promotion propres au salaire socialisé pour entrer dans la vie adulte, les jeunes sont aujourd’hui davantage tributaires du niveau de patrimoine parental, bien plus clivant dans le système des inégalités sociales que celui des revenus du travail (Birh & Pfefferkohn, 2008).

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Notes

1 .Par comparaison avec la période de croissance économique et de développement de l’État social des années 1945‑1975.

2 .Nous remercions les rapporteur(e)s qui par leurs commentaires ont contribué à l’aboutissement de cet article.

3 .Notamment selon le niveau de formation, l’effectivité du soutien familial et l’origine sociale.

4 .Ces difficultés contribuent également à l’allongement de la jeunesse et autorisent à considérer comme jeunes des individus qui, du point de vue des perceptions de sens commun, ne seraient plus définis comme tels. Les personnes rencontrées lors des entretiens avaient entre 17 ans et 31 ans. Sur la distinction entre âge biologique et âge social et ses variations historiques, voir notamment Gérard Mauger (1995) et Georges Duby (1964).

5 .Rappelons que l’entrée en activité professionnelle, la décohabitation dans un logement indépendant et l’entrée en couple constituent les trois indicateurs classiques du passage à l’âge adulte (Galland, 2011 [1991]).

6 .Par mode d’habitat et d’habiter nous entendons prendre en compte à la fois les conditions de logement (vie chez les parents ou non, nombre et caractéristiques des personnes occupant le logement, statut et type de logement occupé) et les manières de s’approprier celui‑ci. Sur la question de l’«habiter», nous renvoyons aux travaux de Annabelle Morel‑Brochet et Nathalie Ortar (2012).

7 .La cohabitation de nécessité regroupe les jeunes qui du fait de leurs situations actuelles (d’âge, d’emploi, de ressources…) sont objectivement en situation de devoir vivre chez leurs parents, sans que pour autant, ils vivent subjectivement cela de manière contrainte. Ils peuvent aussi, étant donné leur jeune âge, considérer la cohabitation comme relevant d’une évidence. Pour une présentation détaillée des jeunes du groupe voir l’annexe électronique 1, https://sociologie.revues.org/2981.

8 .Les jeunes ayant répondu à cette enquête comportent des diplômés du supérieur, plus souvent issus des catégories favorisées.

9 .Propos d’une jeune femme titulaire d’un brevet d’études professionnelles (BEP), en recherche d’emploi et recohabitante après une rupture conjugale et la fin d’un contrat à durée déterminée, dont le père employé est retraité de la SNCF et la mère est aide médico‑psychologique.

10 .À l’exception d’une jeune femme, aucune n’envisage d’emblée que la décohabitation se fera lors de l’entrée en couple. Expérimenter un mode d’habitat et habiter seule pendant un temps leur semble une expérience nécessaire. La jeune femme recohabitante citée plus haut (note 7) qui a déjà expérimenté une vie en couple et avait refusé un contrat à durée indéterminée (CDI) à distance de son compagnon, considère à l’issue de la séparation qu’elle accordera désormais la priorité à sa stabilisation professionnelle et son indépendance économique.

11 .Elles se distinguent en cela des jeunes femmes peu ou pas diplômées rencontrées par Armelle Testenoire (2006).

12 .Contrairement aux tendances nationales (Bajos & Bozon, 2008) et à l’enquête d’Isabelle Clair (2011) qui soulignent la prépondérance de la cohabitation au domicile parental des jeunes femmes. Ceci s’explique dans les deux cas par une opposition des parents de la jeune femme à l’entrée en couple.

13 .Jeune homme non‑diplômé et sans emploi, en couple chez sa mère ouvrière et son beau‑père retraité.

14 .Seule une jeune femme, cohabitante par nécessité et préparant un certificat d’aptitude professionnelle (CAP) d’assistante maternelle, envisage sa future activité professionnelle à son propre domicile comme un salaire d’appoint aux revenus de son compagnon «futur petit patron du BTP» et comme une possible mise à disposition de temps pour «le secrétariat et la gestion de la petite entreprise».

15 .Jeunes sans diplômes, issus de l’immigration maghrébine, n’ayant peu ou jamais travaillé dans le cadre d’un emploi salarié. Enfants de familles nombreuses, leurs mères n’ont jamais exercé d’activité professionnelle, tandis que leurs pères travaillent en CDI ou CDD, le plus souvent dans le BTP.

16 .Voir annexe électronique 2, tableau 1, https://sociologie.revues.org/2982.

17 .À 22 ans, il est titulaire d’un BEP et actuellement demandeur d’emploi non‑indemnisé.

18 .Agé de 21 ans, sans diplôme, son père est ouvrier du BTP et sa mère est au foyer.

19 .52,8% des plus de 26 ans sont non‑diplômés (contre 4,5% des moins de 25 ans), 31,4% ont un CAP, BEP (1,3% des moins de 25 ans), 7,9% un brevet (4,9% des moins de 25 ans) contre seulement 6,5% qui ont un baccalauréat (27,2% des moins de 25 ans) et 1,6% un bac + 2 ou plus (62,2% des moins de 25 ans). De la même façon, 64,2% d’entre eux sont enfants d’ouvrier (14,5% des moins de 25 ans) tandis que moins de 1% (0,3%) sont enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures (39,3% des moins de 25 ans) (voir annexe électronique 2, tableaux 2 et 3, https://sociologie.revues.org/2982).

20 .Les moins de 26 ans vivant chez leurs parents sont proportionnellement plus souvent sans emploi (46,21%) que les 26 ans et plus (42,45%). Néanmoins, parmi ces derniers, ceux qui vivent chez leurs parents restent plus fréquemment sans emploi (42,45% de ceux qui sont sans emploi et en recherche d’emploi contre 31,7% de ceux qui sont en emploi déclarent vivre chez leurs parents) (Tableau 2).

21 .Pour une présentation détaillée des jeunes du groupe voir l’annexe électronique 1, https://sociologie.revues.org/2981.

22 .Dans notre enquête, quatre des jeunes correspondent à ce sous‑groupe. Ils rejoignent ainsi les jeunes de l’enquête EVA qui, quelle que soit leur situation à l’égard de l’emploi, déclarent vivre dans un logement indépendant appartenant à leur famille ou à eux‑mêmes. Dans cette enquête, la formulation regroupe ceux qui potentiellement, en emploi stable, ont acquis un logement en contractant un emprunt personnel auprès des banques. Néanmoins, étant donné leur jeune âge (les 9/10e ont 25‑26 ans), la proportion de ces derniers est sans doute très faible parmi les 16%. Par ailleurs, il est fort probable qu’une très nette majorité de ces jeunes potentiellement accédants par emprunt bancaire, aient bénéficié d’une aide familiale pour constituer un apport, souvent nécessaire afin d’obtenir un prêt bancaire.

23 .Ces derniers correspondent au niveau national à 10,7% de ceux qui sont sans emploi, 12,1% en emploi précaire contre 21,2% de ceux qui sont en emploi stable (voir annexe électronique 2, tableaux 4 et 5, https://sociologie.revues.org/2982).

24 .Après un baccalauréat professionnel, l’un a commencé une année d’espagnol à l’université qu’il a très vite abandonnée, prenant conscience du niveau de difficulté, l’autre a commencé une année de préparation au diplôme universitaire de technologie (DUT) qu’il a interrompu faute d’intérêt pour la formation.

25 .Il s’agit d’enfants d’enseignants.

26 .Le jeune homme a d’abord décohabité afin de poursuivre ses études dans une autre ville universitaire. Lorsqu’il est revenu dans le département de ses parents, il a bénéficié à titre gratuit de leur «petite maison de vacances» où il s’est installé avec sa compagne également étudiante.

27 .Cette jeune femme a tout d’abord obtenu une licence de lettres classiques, puis a préparé sans l’obtenir pendant plusieurs années le concours de professeur des écoles. Tout en continuant à passer le concours, elle a suivi un master français langue étrangère (FLE) en enseignement à distance pour finalement préparer un master «management du social et de la santé» qu’elle a validé.

28 .«J’en avais assez marre d’avoir toutes mes affaires dans les cartons», dit‑elle au cours de l’entretien.

29 .Elle n’avait, le mois précédent l’enquête, pas encore intégré son nouvel appartement et n’avait donc pas véritablement franchi aucun des seuils (à l’exception de la fin des études) d’accès à l’âge adulte. Deux ans après l’entretien, elle occupe certes un emploi mais ce dernier est très précaire et reconnu non‑qualifié (auxiliaire de vie scolaire à temps partiel).

30 .Fixée à 25 ans révolus par l’Insee, cette limite d’âge est également utilisée par les politiques publiques pour déterminer l’éligibilité au revenu de solidarité active (RSA). Elle est par ailleurs fortement intériorisée par les jeunes, comme l’a montré Cécile Van de Velde (2008).

31 .Le conjoint de l’une est en CDI sur un poste d’agent responsable de l’entretien des locaux d’une cité universitaire. En changeant de domaine d’activité en fonction des opportunités, les autres alternent, le plus souvent, périodes d’emploi généralement rémunérées au Smic et périodes de chômage plus ou moins longues.

32 . Voir annexe électronique 2, tableau 6, https://sociologie.revues.org/2982.

33 .Entre le moment de la décohabitation et celui de l’entretien, certaines des jeunes femmes et leurs compagnons ont dû en fonction des aléas de leur budget, déménager, réaménager à plusieurs reprises et de façon rapprochée (par exemple trois ou quatre fois en trois ans), prenant un appartement plus petit ou dans un quartier moins valorisé.

34 .Pour une présentation détaillée des jeunes du groupe, voir l’annexe électronique 1, https://sociologie.revues.org/2981.

35 .Dans l’enquête EVA, les jeunes sans emploi sont proportionnellement moins souvent en logement indépendant (50,3%) que ceux en emploi stable (75,4%) (annexe électronique 2, tableaux 4 et 5, https://sociologie.revues.org/2982).

36 .Cinq jeunes femmes sur les sept.

37 .Deux sont au foyer, une étudiante, la quatrième en congé maternité et la dernière en recherche d’emploi.

38 .L’association d’aide au logement dans le cadre de laquelle nous avons rencontré une partie des enquêté(e)s nous a clairement signifié que les jeunes parents ou mères célibataires étaient prioritaires dans les décisions d’attribution de logement.

39 .Notons cependant que deux jeunes femmes ont également traversé des épisodes sans logement. À ce propos, les données récentes montrent que la part des femmes sans domicile fixe (près de 2/5) augmente et tend à rattraper celle des hommes (Yaouancq et al., 2013).

40 .Logement social, hébergement chez autrui, foyers.

41 .Trois sur onze.

42 .À l’issue du divorce avec son mari, elle obtiendra non sans difficultés la garde de son enfant qui la rejoindra un an après son arrivée en France, grâce au soutien de ses propres parents.

43 .Il s’agit d’une déclinaison du service d’aide médicale urgente (SAMU).

44 .L’association d’aide au logement dans le cadre de laquelle nous avons réalisé une partie des entretiens, proposait aux jeunes des appartements sur la base de contrats de location spécifiques, pour une durée oscillant entre trois mois et un an, et allant exceptionnellement jusqu’à deux ans, l’idée étant d’accompagner au cours de cette période l’accès des jeunes au logement social classique ou, quand cela est possible, dans le parc privé. Le caractère temporaire du soutien se veut une parade à l’assistanat et correspond aux représentations par ailleurs dominantes dans l’ensemble du secteur social spécialisé dans le logement. Ici est à l’œuvre le principe selon lequel le caractère temporaire de l’aide favorise la mobilisation active des personnes en difficulté, évacuant ainsi le fait que cette incertitude structurelle renforce l’insécurité, à la fois objectivement et subjectivement.

45 .Cinq sont en location dans le secteur privé, quatre en logement aidé, un est hébergé à titre gratuit, le dernier est logé par le SAMU social.

46 .Quatre ont vécu l’expérience de la rue, quatre celle des foyers, huit ont vécu des hébergements temporaires chez autrui.

47 .Tandis que, selon Stéphane Beaud (2009), les jeunes diplômés des milieux les plus favorisés franchissent finalement relativement plus tôt les différentes étapes de passage à l’âge adulte.

48 .Dans cet article, les jeunesses issues des classes populaires stabilisées et précarisées ainsi que d’une frange des classes moyennes et non pas de tout le spectre des appartenances sociales.

49 .Selon le conseil d’analyse économique, début 2013, près de 1,9 millions de jeunes de 15 ans à 29 ans, parmi lesquels une forte proportion de non‑diplômés, ne sont ni à l’école, ni en emploi, ni en formation, soit 17% de cette classe d’âge (Cahuc et al., 2013).

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Pour citer cet article

Référence électronique

Laurence Faure et Éliane Le Dantec, « Expériences résidentielles, insécurité socio‑économique et reconfiguration des appartenances sociales lors de l’entrée dans la vie adulte », Sociologie [En ligne], N° 2, vol. 8 |  2017, mis en ligne le 20 août 2017, consulté le 29 mars 2024. URL : http://journals.openedition.org/sociologie/2977

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Auteurs

Laurence Faure

laurence.faure-rouesnel@univ-lyon2.fr
Maître de conférences en sociologie, Centre Max Weber (UMR 5283) université Lumière – Lyon‑II, Équipe modes, espaces et processus de socialisation - Université Lumière – Lyon‑II, 5 avenue Pierre Mendès‑France, F‑69696 Bron cedex, France

Éliane Le Dantec

eliane.ledantec@univ-perp.fr
Maître de conférences en sociologie, université de Perpignan Via Domitia, Centre Pierre Naville (EA 2543), université d’Evry‑Val‑d’Essonne - Université de Perpignan Via Domitia, 52 avenue Paul Alduy, 66860 Perpignan cedex 9, France

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