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HomeNumérosN° 3, vol. 8EnquêtesFaire émerger un « islam français » (…)

Faire émerger un «islam français»: paradoxes d’une action publique sous contrainte (1970‑2010)

Giving rise to “French Islam”: The paradoxes of an uneasy government policy (1970‑2010)
Solenne Jouanneau

Abstracts

Cet article revient sur la manière dont certains agents du ministère de l’Intérieur ont institué le fait islamique hexagonal en fait social problématique, en s’intéressant plus particulièrement à la manière dont cette construction du réel a participé à désigner les imams métropolitains comme un possible support de résolution des dysfonctionnements imputés à la religion musulmane en France. Il décrit ensuite, la manière dont ces «ministres du culte» sont progressivement devenus la cible d’un faisceau d’action publique en interrogeant à cette occasion le rapport pratique des agents du ministère de l’Intérieur à la laïcité juridique et narrative.

Giving rise to “French Islam”: The paradoxes of an uneasy government policy (1970‑2010)

This article examines how agents of the Interior Ministry have turned Islam in France into a problematic social fact, focusing more specifically on how this construction of reality has been used to designate French imams as possible allies in the resolution of problems associated with the Muslim faith. It subsequently shows how these “ministers” have progressively become targets of public policies that call into question the practical relationship of Interior Ministry agents to legal and narrative laicism.

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Full text

  • 1 . Du moins sur le territoire métropolitain, les territoires d’outre‑mer ayant quant à eux, pendant (...)

1En France, depuis l’adoption de la loi du 9 décembre 1905, l’État est confessionnellement neutre. Tout en garantissant la liberté de conscience et le libre exercice du culte sur son territoire, il ne reconnait, ne subventionne et ne salarie aucun culte1. Ce positionnement de l’État vis‑à‑vis du religieux ne se traduit pas cependant par toute absence de relations entre représentants des sphères religieuse et étatique. En effet, le principe de « laïcité » – lorsqu’il est adopté par les dirigeants de la IIIe République – ne vise pas uniquement à séparer ces deux espaces institutionnels (Lalouette, 2005). Ici, comme dans d’autres domaines, la différenciation entend aussi assurer la hiérarchisation (Lagroye, 2003, pp. 361‑362). Il s’agit de parvenir à imposer définitivement le primat de la rationalité étatique et des lois républicaines sur les croyances et les pratiques religieuses (Asad, 2006 ; Baubérot, 2009 ; Portier, 2016). En d’autres termes, il s’agit de s’assurer que pratiques, croyances ou autorités religieuses ne puissent plus servir de support à la contestation de l’ordre politique et national dont élus et fonctionnaires se veulent désormais les seuls garants (Bourdieu, 1971 ; Noiriel, 1991).

  • 2 . Certains chercheurs ont par exemple travaillé sur la politique anti-congrégationniste menée par l (...)

2Ce principe de gouvernement acquis, les pouvoirs publics – et en particulier les responsables de l’Intérieur – n’ont donc pas cessé de surveiller, voire de chercher à réguler, la sphère religieuse. En témoignent, durant toute la première moitié du xxesiècle, les relations, souvent conflictuelles, que les fonctionnaires du Bureau central des cultes (BCC) ont entretenues avec les représentants de l’Église catholique2. En témoigne aussi, à la même époque, le choix politique des autorités françaises de laisser perdurer des régimes dérogatoires à la laïcité en Algérie et dans les colonies d’Outre‑Mer, soit que la religion y ait été perçue comme participant à la transmission des valeurs occidentales (Demetz, 2011), soit au contraire qu’elle y ait été appréhendée comme un possible support de contestation de l’ordre colonial (Achi, 2004, 2007).

3Cette propension étatique à surveiller, voire à réguler ce qui se joue dans le champ religieux a pris des formes différentes selon les configurations socio‑historiques mais elle n’a pas forcément disparu aujourd’hui. En effet, de l’annonce de la création du Conseil de réflexion de l’islam en France (CoRIF) par le cabinet de Pierre Joxe en mars 1990 à l’annonce, par Bernard Cazeneuve en aout 2016, de la volonté du gouvernement de créer une fondation de l’Islam de France, le ministère de l’Intérieur est depuis trente ans directement impliqué dans la création d’instances et de dispositifs présentés au grand public comme devant favoriser l’émergence de l’« islam de France ». Cette immixtion récurrente des agents de la place Beauvau dans le processus d’institutionnalisation du culte musulman hexagonal a déjà fait l’objet de nombreux travaux (Frégosi, 1999, 2004, 2008 ; Geisser & Zemouri, 2007 ; Zeghal, 2005 ; de Galembert & Belbah, 2005). Le présent article n’en retracera donc par les différentes réalisations (CoRIF, Charte des musulmans de France, Consultation des musulmans de France, Conseils français du culte musulman, etc.). Son propos est plutôt d’interroger les conditions de légitimation et d’exercice d’une action publique dont la particularité est de devoir conjuguer une volonté étatique – pas toujours assumée – de réformer l’islam français et un ensemble de normes, juridiques et administratives, qui, du fait du caractère laïque de l’État, tendent précisément à limiter les moyens d’action de l’administration en la matière.

4Pour ce faire, nous reviendrons d’abord sur les causes de l’implication progressive du ministère de l’Intérieur dans le processus de structuration du culte musulman. Nous montrerons ensuite que cet intérêt grandissant s’est objectivé, dans les cabinets, par l’apparition de « conseillers islam », conseillers dont les profils révèlent le caractère « sensible » et partiellement « illégitime » des préoccupations qu’ils incarnent. Enfin, en se focalisant sur l’action déployée par ces conseillers sur le dossier des imams en France, cet article reviendra sur les contraintes qui pèsent sur ces bureaucrates que l’on charge d’intervenir dans un domaine qui, depuis 1905, ne relève plus de la compétence légitime de l’État que sous certains aspects.

5L’intérêt d’une telle démarche est d’abord de prolonger, en les déplaçant, les questionnements soulevés par les travaux ayant interrogé les relations de l’islam et de l’État au travers des controverses suscitées par les pratiques islamiques de voilement du corps féminin et la manière dont, ces dernières années, elles ont participé à redéfinir juridiquement ce que devraient être les lieux, les formes (acceptables ou inacceptables) de l’expression (par corps) de son appartenance à une communauté religieuse (Bowen, 2011 ; Hennette‑Vauchez, 2016). On pense ici en particulier aux travaux relatifs à l’adoption de la « loi sur le voile de 2004 » (Bowen, 2007 ; de Galembert, 2008, 2014) et de la loi « anti‑burqa » de 2010 (Koussens & Roy, 2013 ; de Galembert, 2014), mais aussi aux recherches consacrées à l’affaire de la crèche Baby‑loup en 2014 (Hennette‑Vauchez & Valentin, 2014). La plupart de ces enquêtes reposent sur l’analyse des productions discursives des différents acteurs mis en présence par ces controverses. Elles ont le grand intérêt de retracer la circulation des arguments entre institutions politiques et juridiques et ainsi de saisir la dimension idéologique de la fabrique du droit, ainsi que les jeux d’interdépendance entre champ du pouvoir et champ juridique. Elles nous renseignent aussi sur ce que la confrontation à l’« autre musulman » fait aux appropriations nationales du républicanisme, du libéralisme, du pluralisme ou du multiculturalisme (Scott, 2007 ; Amiraux & Koussens, 2016 ; Joppke & Torpey, 2013 ; Laborde, 2010). Cependant, ces enquêtes se centrent avant tout sur les jeux d’interdépendance entre les définitions juridique et narrative de la laïcité (Ferrari, 2009). Par conséquent, il est naturel qu’elles se fondent sur des sources ayant été rédigées avec l’idée qu’elles seraient diffusées en dehors du cercle des contributeurs de ces controverses.

6Le propos de cet article est dès lors de compléter ces travaux en cherchant désormais à analyser non plus ce qui se joue sur le devant de la scène, mais dans les « coulisses » de l’État. Il entend pour cela procéder à une « observation historique du travail et de l’entre soi bureaucratique » (Buton, 2008 ; Laurens, 2008) des conseillers de cabinet en charge de l’encadrement du culte musulman par l’État.

7Pour ce faire, deux types de données seront mobilisées : des archives du ministère de l’Intérieur relatives à la problématique de « l’islam en/de France » – principalement celles du Bureau central des cultes dans les années 1990 et celles des cabinets Joxe, Debré et Chevènement – et des entretiens réalisés auprès d’une douzaine de hauts fonctionnaires de l’Intérieur ayant directement eu à travailler sur ce dossier entre 1989 et 2007.

  • 3 . Pour une retraduction dans le langage de la théorie politique de ce type de raisonnement, voir no (...)

8Ces matériaux – issus d’une enquête menée entre 2004 et 2009 – seront alors l’occasion d’objectiver les décalages susceptibles d’exister entre les déclarations publiques des dirigeants de la place Beauvau en matière de laïcité et la réalité des pratiques déployées par leur administration. Car, sur la période étudiée, la politique de la place Beauvau vis‑à‑vis du culte musulman repose sur la coexistence de deux réalités. On a, d’une part, dans la sphère publique, des ministres de l’Intérieur qui se font les chantres de la nécessaire défense et acceptation de la part de tous des principes constitutifs de la « laïcité à la française ». Et, d’autre part, dans les couloirs du ministère, des conseillers qui eux cherchent des dispositifs administratifs leur permettant d’empiéter sur des prérogatives qui précisément, depuis la loi du 9 décembre 1905, ne sont plus du ressort de l’État mais de celui des groupements religieux. Or, nous le verrons, deux éléments permettent la coexistence de ces deux réalités en apparence contradictoires. D’abord, à la différence de ce qui se passe à l’occasion des controverses précitées, lorsque ces bureaucrates interviennent dans les affaires du culte musulman, ils ne le font jamais, en première instance, dans le cadre d’une action prenant la forme d’une opération de définition ou de redéfinition de ce que serait ou devrait être la « laïcité ». Avant tout guidés par des préoccupations d’ordre « sécuritaire » et « intégrationniste » leur réflexion sur la laïcité est toujours seconde. Ensuite, l’enjeu n’est pas pour eux de faire évoluer la définition juridique de la laïcité. Il s’agit au contraire de trouver les moyens de « faire entrer l’islam » dans le modèle de gestion des cultes instauré par la loi de 1905, afin d’éviter que ne soit mis à mal les valeurs de neutralité, de libéralisme et de pluralisme censés fonder cette loi3.

Le ministère de l’Intérieur et le culte musulman : de l’indifférence à la tentation de la régulation

9L’intérêt des fonctionnaires gouvernants de la place Beauvau pour l’islam et les imams émerge à la fin des années 1980. Il se fonde sur un consensus élitaire qui transcende le clivage droite‑gauche (Deltombe, 2005). Or, comme nous allons le voir ici, ces inquiétudes sont moins de nature religieuse que relatives à deux attributions centrales de ce ministère : d’une part, l’encadrement des étrangers résidant sur le territoire national et, d’autre part, la surveillance des comportements politiques.

La construction d’un « problème musulman » en France : entre « intégration » et « sécurité intérieure » 

  • 4 . Communication sur la condition des travailleurs immigrés et de la politique d’immigration, pronon (...)
  • 5 . Il s’agit des fiches L‑1 («Aide à l’implantation des lieux de culte») et L‑2 («Aide aux mosqué (...)

10En France, l’islam n’est pas qu’une religion. Historiquement, elle est une « religion d’immigrés », dont les conditions d’implantation sont largement indissociables des processus migratoires, sociaux et politiques ayant conduit à l’émigration, puis à l’enracinement, de plusieurs générations d’étrangers, pour l’essentiel originaires des anciennes colonies françaises (Sayad, 1987). À ce titre, le positionnement des agents de l’État vis‑à‑vis de l’islam est en grande partie corrélé à celui qu’ils adoptent plus globalement vis‑à‑vis du phénomène migratoire. Ainsi, aussi longtemps qu’ils perçoivent la présence des travailleurs immigrés de confession musulmane comme temporaire, leur appréhension de ce culte se caractérise par deux aspects principaux. D’une part, l’islam se trouve lui‑même défini comme une « religion immigrée » dont la structuration relèverait en première instance de la responsabilité des institutions consulaires des états d’émigration ou, dans une moindre mesure, des espaces d’encadrement de la main‑d’œuvre immigrée. D’autre part, la religiosité musulmane n’est pas alors perçue comme un phénomène problématique. Pour l’administration des étrangers, il existerait même un « intérêt à faciliter le maintien de la tradition religieuse chez les étrangers qui souhaitent s’engager sur la voie d’une immigration temporaire », puisqu’elle serait de nature à leur permettre de « sauvegarder les liens avec leur culture d’origine »4. Ainsi, en décembre 1976, le secrétariat d’État aux travailleurs immigrés envoie à tous les préfets de France une circulaire les invitant à faciliter l’ouverture de salles de prières musulmanes. Celle‑ci précise cependant que « l’affectation d’imams et de professeurs d’arabe et de turc » devra s’y faire « en liaison avec les gouvernements des pays dont sont originaires les immigrés » fréquentant les dites salles de prières5. Il convient en outre de souligner qu’à cette époque c’est essentiellement « dans les entreprises et les foyers de travailleurs que les pouvoirs publics souhaitent que l’islam s’implante […] c’est‑à‑dire en dehors des lieux traditionnels d’exercice des cultes religieux » (Weil, 1991, p. 247). En effet, favoriser la création de lieux de culte islamique ne relève pas alors d’une lecture volontariste de l’article 1 de la loi du 9 décembre 1905 garantissant la liberté de conscience et le libre exercice du culte. Elle s’inscrit plutôt dans le sillage d’une politique migratoire reposant encore en grande partie sur « l’illusion du retour ». La pratique collective de l’islam au sein des structures traditionnelles d’encadrement de la main d’œuvre ouvrière (usines et foyers) y est, de plus, perçue comme un possible antidote au syndicalisme et au gauchisme (Tripier, 1990, pp. 188‑206 ; Barou, 1985 ; Barou et al., 1995).

  • 6 . Paul Dijoud, La Nouvelle politique d’immigration, Paris, Secrétariat d’État aux travailleurs immi (...)
  • 7 . Rapport de la Commission Culture et Immigration, Réflexions et propositions sur les besoins éduca (...)

11Paradoxalement, la nouvelle politique d’immigration de Paul Dijoud6 sera aussi le lieu de remise en cause de cette grille de lecture. En effet, au début des années 1970, l’administration des étrangers, en même temps qu’elle cherche à « encourager les retours de travailleurs émigrés dans leurs pays d’origine », initie une « politique “volontariste” d’intégration, afin de faciliter l’“insertion” des travailleurs émigrés qui souhaiteraient rester en France » (Laurens, 2006, p. 617). Or, ce second volet de l’action étatique en direction des immigrés et de leurs descendants contribue à créer des espaces de réflexion proches de l’État (Escafré‑Dublet, 2014) qui, eux, vont peu à peu définir l’islam comme « l’une des religions de France, la deuxième par le nombre de ses fidèles7 ». L’adoption de ce prisme n’est pas neutre. Il invite de facto à considérer qu’il reviendrait donc à l’Intérieur, en tant que ministère chargé des cultes, de s’assurer que les « musulmans » disposent de droits similaires à leurs coreligionnaires catholiques, juifs et protestants en matière de lieux de cultes, d’émissions cultuelles sur l’une des chaînes de télévision publique, mais aussi d’aumôneries – militaires, scolaires, pénitentiaires ou hospitalières – ou encore d’enseignement privé confessionnel. Il convient néanmoins immédiatement de préciser que ce discours sur la nécessité de favoriser l’« intégration », tant symbolique que matérielle, du culte musulman ne fait pas l’objet d’une appropriation immédiate, ni par les agents de la place Beauvau, ni par la Présidence de la République (Joxe, 2004, pp. 7‑19).

12En réalité, pour que s’impose l’idée que l’État français aurait intérêt à garantir, mais aussi à normaliser, l’exercice public de la religion musulmane, il faut au préalable que l’islam se trouve construit par les agents du ministère de l’Intérieur comme un dossier politiquement sensible. Or, cette appréhension du réel s’impose au croisement de mobilisations de deux types d’acteurs publics. La première, bien décrite par Julien Beaugé et Abdellali Hajjat (2014), relève d’instances étatiques ou para-étatiques, ayant reçu pour mission d’expertiser ou de statuer sur les conditions de possibilité, ou d’impossibilité, de l’« intégration » des immigrés résidant sur le territoire français, telle par exemple la commission Marceau Long sur la nationalité ou encore le Haut Conseil à l’intégration. En effet, en interrogeant et, ce faisant, en sous‑entendant, l’existence d’une possible incompatibilité entre certaines formes de religiosité islamique et l’acceptation et l’appropriation des valeurs républicaines françaises, ces institutions ont sans aucun doute participé à instituer l’existence d’un « problème musulman » (Beaugé & Hajjat, 2014).

  • 8 . Voir par exemple CAC 19970374, art. 4, liasse 1, la note intitulée «Islam et l’islamisme en Fran (...)
  • 9 . CAC 19920417, art. 2, Note de B. Guillet du 20 mars 1987 (CAB/VIII/BG/DJ/ no 337).

13Cependant, cette vision de l’islam comme possible frein à l’« intégration » des immigrés et de leurs descendants s’impose d’autant plus facilement auprès des fonctionnaires gouvernants de l’Intérieur qu’elle entre en congruence avec les prises de positions que suscitent, au même moment, la montée en puissance de l’islam politique oppositionnel au Maghreb au sein des services de renseignement. En effet, à compter de la seconde moitié des années 1980, dans des notes souvent d’autant plus alarmistes qu’elles visent aussi à accroître une audience et une légitimité fragilisées par la fin de la guerre froide (Bonelli, 2001), les officiers des Renseignements généraux (RG) et la direction de la Surveillance du territoire (DST) – et dans une moindre mesure certains analystes du Quai d’Orsay – tentent de sensibiliser les ministres qui se succèdent place Beauvau aux risques afférents à la diffusion de l’« intégrisme musulman » sur le territoire français8. Du fait des attributions qui sont les leurs, ces derniers ne s’intéressent pas à l’islam en tant que culte, mais comme vecteur de politisation et de remise en cause de l’ordre politique national (Bonelli, 2008). Cependant, en alertant leurs autorités de tutelle sur « les menées intégristes qui se manifestent ici et là en France, notamment dans le cadre de petites mosquées qui s’édifient le plus souvent de manière sauvage9 », leurs membres participent à n’en pas douter à conférer aux modalités de structuration de l’islam hexagonal un caractère politiquement préoccupant.

Des « conseillers islam » à l’image du dossier qu’ils prennent en charge

14Cette accession du culte musulman au statut de dossier « sensible » s’objective, dans la composition des cabinets de l’Intérieur à partir du second passage de Pierre Joxe (1988‑1991). À compter de cette période, chaque équipe ministérielle va, en effet, se doter d’un ou de plusieurs conseillers spécifiquement affectés à la problématique de « l’islam en/de France ». La présence de ces conseillers n’atteste pas que de l’émergence d’un intérêt étatique pour l’islam. Au croisement des préoccupations d’ordre sécuritaire et intégrationniste que nous venons de décrire, ces hommes participent aussi à l’institutionnalisation du fait islamique en objet d’action publique. En effet, leur rôle au sein du cabinet ne se limite pas à surveiller ce qui se passe dans le champ du culte musulman. Il consiste, d’une part, à établir la liste des « problèmes » possiblement soulevés par la structuration de cette nouvelle religion sur le territoire français et, d’autre part, à identifier les moyens de les solutionner (Gusfield, 2008).

15Recrutés pour coordonner une mission relativement inédite et non prévue par les concepteurs de la loi de 1905, ces conseillers sont pour l’essentiel sélectionnés de façon artisanale, en fonction des configurations politiques du moment et/ou de ce que le ministre se représente être alors « la coloration » de ce « dossier islam ». Le premier, Raoul Weexsten, arrivé sous Pierre Joxe, est resté en fonction jusqu’au départ de Paul Quilès (1988‑1992). Dans une séquence historique où la problématique de l’islam est perçue comme indissociable de la question migratoire et de la montée de l’islam politique en Afrique du Nord, cet ancien géographe du CNRS, spécialiste de l’Algérie, est ainsi recruté pour sa connaissance du Maghreb et ses contacts :

  • 10 . Entretien avec R. Weextseen en décembre 2006 (entretien non enregistré, propos reconstitués à par (...)

Ayant vécu en Algérie et ayant travaillé dans le domaine de la coopération au ministère de l’Industrie et de la Recherche, j’avais des contacts un peu partout, un carnet d’adresses […]. Et puis ces différentes expériences professionnelles m’ont permis d’explorer toutes les facettes des relations de la France avec les pays du Maghreb ; c’est d’ailleurs, je pense, pour cela que Joxe a fait appel à moi10.

16Le second, André Damien, reste quant à lui du retour de Charles Pasqua à l’Intérieur jusqu’au départ de Jean‑Louis Debré, soit de 1992 à 1997. Cet ancien avocat, devenu conseiller d’État à la section des finances et du contentieux ne connait, quant à lui, pas grand‑chose à l’islam. Son recrutement, il le doit avant tout à sa maîtrise du droit et de l’histoire religieuse française, à une époque où Charles Pasqua et Jean‑Louis Debré entendent favoriser une politique d’alignement de l’islam sur les cultes plus anciennement implantés.

  • 11 . Sur ces logiques de recrutement habituellement plus stabilisées et identifiables dans les cabinet (...)
  • 12 . Entretien avec D. Motchane, février 2006.
  • 13 . Entretien avec A. Billon, avril 2006.

17Aucune « filière » administrative ou politique ne préparant a priori à remplir un tel poste11, 12les13 amitiés et relations politiques jouent également un rôle essentiel dans le recrutement de ces conseillers. Lorsqu’il est nommé en 1988, Raoul Weexsteen connait Pierre Joxe depuis le milieu des années 1970, lorsque tous deux travaillaient au secrétariat international du Parti socialiste (PS). André Damien, pour sa part, est un proche de Charles Pasqua qu’il a longuement côtoyé en tant que conseiller général des Yvelines (1979‑1998). Les trois conseillers « islam » recrutés par Jean‑Pierre Chevènement, Didier Motchane, Alain Billon et Bernard Godard, sont également représentatifs de cette double logique de recrutement. Tous les trois sont d’anciens membres du Centre d’études, de recherches et d’éducation socialiste (CERES). Ils incarnent cependant des compétences distinctes. Magistrat de formation, ancien député européen PS (1979‑1989) et membre fondateur du Mouvement des citoyens (MDC), Didier Motchane doit sa nomination à sa très grande proximité politique et personnelle avec le ministre :

Quand Chevènement est entré au ministère de l’Intérieur, il m’a demandé de m’occuper de ce qui concernait les musulmans […]. Je n’étais peut‑être pas particulièrement qualifié, mais disons que c’était une question que nous considérions comme importante et dans une certaine mesure stratégique et qu’il voulait la confier à quelqu’un qui était très proche de lui12.

  • 14 . Entretien avec B. Godard, mars 2006.
  • 15 . Bernard Godard a notamment réalisé un mémoire de DEA sous la direction de Gilles Kepel sur «l’is (...)
  • 16 . Pour reprendre l’expression utilisée par A. Billon, D. Motchane mais aussi V. Sevaistre, sous les (...)

18Alain Billon, lui, est inspecteur général de la construction. Il débute sa carrière politique au PS où, pour se démarquer, il joue de sa conversion à l’islam suite à son mariage en 1982 avec une Marocaine. Après s’être présenté comme « le seul député musulman de la législature », il fait de la religion musulmane « une espèce de spécialité » et participe ainsi à l’élaboration de la ligne du MDC sur cette question au milieu des années 199013. Le troisième conseiller, Bernard Godard, n’est pas un « professionnel de la politique ». Commandant de police dans les renseignements généraux, cet « homme de terrain » a longtemps travaillé dans une unité spécialisée dans « les questions sécuritaires liés aux communautés arabes et iraniennes14 ». Il se caractérise cependant aussi par une bonne connaissance de la production académique relative au fait musulman contemporain15. Ce parcours atypique, mêlant connaissances pratiques et théoriques, lui vaut de durablement s’imposer comme le « spécialiste incontournable pour l’islam16 » au ministère de l’Intérieur.

  • 17 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

19La prise de fonction de Vianney Sevaistre, sous Nicolas Sarkozy en 2002, démontre, quant à elle, que le parti pris de sélectionner des conseillers sensibilisés aux enjeux sécuritaires n’est pas remis en cause par l’alternance politique au début des années 2000. Ancien capitaine de vaisseau, reconverti dans la haute fonction publique en 1999, ce catholique pratiquant a d’abord été recruté en 2001 comme chef du Bureau central des cultes où l’on cherchait quelqu’un qui « aime faire du renseignement chez l’ennemi » et qui « ne passe pas son temps à aller voir son patron en lui demandant : “est‑ce que je peux faire ça ?” ». Les notes à dimension sécuritaire qu’il rédige en direction du cabinet de l’Intérieur, le font remarquer par Nicolas Sarkozy, qui dès 2002 lui propose de rejoindre officieusement son cabinet : « je suis resté chef du BCC, mais […] j’avais les deux fonctions. Et en fait, j’ai passé 80 % de mon activité au cabinet17. »

20Si ces conseillers ne correspondent pas à la figure du « technocrate » (Dubois & Dulong, 1999), les affinités politiques qui les lient aux ministres leur permettent cependant une fois en poste d’avoir directement accès à ces derniers. En entretien, Raoul Weexsteen revient ainsi plusieurs fois sur sa « relation privilégiée avec Pierre Joxe et son directeur de cabinet », comme lorsqu’il affirme : « toutes mes notes parvenaient directement au ministre qui me donnait directement ses instructions. » Vianney Sevaistre explique quant à lui, non sans une certaine fierté, qu’il était celui qui « a le plus encombré Sarkozy en nombre de réunions ».

21Cette centralité des « conseillers islam » est d’autant plus forte qu’ils sont au quotidien les seuls à être en lien avec l’ensemble des services de l’Intérieur possiblement concernés par la gestion du culte musulman. Ce sont eux qui centralisent, hiérarchisent et surtout ordonnent les informations à partir desquels les ministres fondent leur décision. Et, par la suite, ce sont eux également qui coordonnent l’action des différents services impliqués dans leur mise en œuvre. Cet état de fait est, en outre, renforcé par la longévité de leur présence au sein des cabinets. En effet, en cas de simple remaniement ministériel, ils « survivent » généralement aux ministres les ayant initialement mis en place, leur présence permettant d’assurer un certain « suivi » du dossier. Cela est vrai de Raoul Weexsteen et André Damien, mais aussi d’Alain Billon qui restera en place sous Daniel Vaillant suite au départ de Jean‑Pierre Chevènement ou Viannay Sevaistre qui conseillera aussi Dominique de Villepin. Quant à Bernard Godard arrivé à l’Intérieur avec Jean‑Pierre Chevènement, il se maintiendra sous divers statut au ministère de l’Intérieur jusqu’en 2014.

  • 18 . Entretien avec R. Weextseen, décembre 2006 (entretien non enregistré, propos reconstitués à parti (...)
  • 19 . CAC 20010341, art. 1, liasse 1 «1997», «Note du ministre de l’Intérieur Jean‑Pierre Chevènemen (...)

22En revanche, conscients qu’ils jouent avec les limites juridiques de la laïcité, les ministres de l’Intérieur qui les recrutent leur imposent généralement de rester discrets. Ainsi, sur les six conseillers que nous venons de citer, notons que seuls trois apparaissent dans les registres du bottin administratif en tant que membres des cabinets de l’Intérieur (Raoul Weexsteen, André Damien et Vianney Sevaistre) et que ces mentions ne reflètent, en outre, pas la réalité de la durée de leur présence au sein de la place Beauvau. En entretien, Raoul Weexsteen explique par exemple le caractère épisodiquement officieux de sa position par la volonté de discrétion des ministres : « bien sûr, Joxe ne voulait pas trop que cela se sache, il m’a demandé d’être discret. J’ai conservé cette fonction de conseiller technique auprès de ses deux successeurs, Marchand et Quilès mais mon nom n’était toujours pas mentionné18. » Cette même volonté de discrétion se retrouve dans les archives du cabinet de Jean‑Pierre Chevènement, comme dans ces courriers où le ministre introduit Didier Motchane auprès du directeur général des Renseignements généraux et du préfet de police de Paris. Indiquant avoir « chargé M. Didier Motchane d’une mission exploratoire sur les problèmes de l’islam en France », le ministre précise que celui-ci « mènera son enquête directement mais discrètement au sein de [son] cabinet19 ».

Favoriser l’« islam français » en pays laïque : une action publique sous contrainte

23Malgré quelques variations dans le style et les méthodes, l’action menée par ces conseillers de l’extrême fin des années 1980 au début des années 2000 est marquée par une certaine continuité dans ses finalités (Geisser & Zémouri, 2007, pp. 46‑68). Initialement, les agents de l’État central s’étaient pour l’essentiel accommodés d’une structuration du culte musulman reposant sur la mobilisation d’entrepreneurs religieux indépendants ou affiliés à des mouvements islamiques internationaux – issus du réformisme, du wahhabisme, du soufisme, etc. – ou à certains États d’émigration et généralement adossés au secteur associatif local. À l’inverse, les « conseillers islam » de la place Beauvau ne vont avoir de cesse d’insister sur la nécessité, d’une part, de doter l’islam hexagonal d’une instance officielle de représentation et, d’autre part, d’assurer l’encadrement de ses ministres du culte. Après avoir rapidement présenté comment ces deux objectifs s’articulent, nous nous focaliserons plus spécifiquement sur le dossier des imams. Celui‑ci sera d’abord l’occasion d’insister sur la manière dont l’action de ces bureaucrates se trouve contrainte par le principe de Séparation des Églises et de l’État. Mais l’on s’interrogera aussi sur ce qu’il révèle du positionnement des responsables de la place Beauvau vis‑à‑vis de la laïcité.

Conformer l’islam au « modèle français de gestion des cultes » : de la centralisation du culte musulman à l’encadrement des imams

24On le sait, dans l’administration, les « problèmes émergents » sont généralement traités à partir de routines et de catégories d’entendement administratives préexistantes. Du point de vue bureaucratique, il s’agit d’adopter, parmi le panel de pratiques disponibles, celles qui perturbent « le moins possible la cohérence des actes habituels » (Lagroye, 2006, pp. 147‑150). Ici, ce mécanisme conduit les conseillers en charge du dossier de « l’Islam » à évaluer le processus de structuration de l’islam hexagonal à l’aune de la situation organisationnelle des cultes plus anciennement établis au sein du territoire métropolitain. Une telle comparaison n’est évidemment pas neutre.

25Elle revient d’abord à ériger en modèle une tendance à la centralisation institutionnelle qui, au moins en ce qui concerne les cultes protestant et juif, n’a été atteinte qu’après avoir été imposée comme une norme légale au moment de la mise en place du « régime des cultes reconnus » (1801‑1808) (Boutry & Encrevé, 2006). Elle tend ensuite à faire de l’absence de hiérarchie, ecclésiale ou laïque, au sein du culte musulman hexagonal un « problème », « un décalage historique » à rattraper (Zeghal, 2005). Cela est d’autant plus vrai que, comme l’explique Vianney Sevaistre dans l’entretien ci‑dessous, la centralisation institutionnelle des anciens cultes reconnus favorise, en pratique, le travail d’encadrement de la sphère religieuse par l’État :

  • 20 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

Si l’Église catholique me dit cet homme est un prêtre reconnu par Rome, alors j’ai des garanties […]. Pareil chez les protestants. Quand j’avais l’une des préfectures qui me disait : « il y a une église machin, on le sent pas bien, c’est peut‑être une secte », j’appelais le président de la Fédération protestante de France en lui disant : « écoutez à tel endroit il y a une église protestante, est‑ce que vous la connaissez ? ». C’est une vraie caution. Et d’ailleurs si depuis Napoléon, la France est un des rares pays au monde à avoir des organisations verticales dans les cultes, c’est que finalement ce n’est pas mal. Dans les pays où il n’y a pas d’organisation verticale c’est le bordel le plus total20.

  • 21 . Cette expression est empruntée à B. Godard (Terrel, 2004, p. 87).
  • 22 . CAC 19970374, art. 4, liasse 1, «Situation actuelle de l’islam de France», note rédigée par A.  (...)

26Ainsi, de la nomination des membres du Conseil de réflexion sur l’Islam en France (CoRIF) en 1989 par Pierre Joxe jusqu’à l’« accouchement aux forceps21 » du Conseil français du culte musulman (CFCM) par Nicolas Sarkozy en 2003 (Terrel, 2004 ; Frégosi, 1999, 2005, 2006 ; de Galembert, 2004 ; de Galembert & Belbah, 2005), le projet des conseillers « islam » reste le même. En effet, si ces différentes tentatives de centraliser la représentation de l’islam en France ont pu reposer sur des définitions variables de ce que serait une instance « représentative » de l’islam français, toutes avaient pour projet, plus ou moins avoué, de structurer le culte musulman sur le « modèle consistorial juif et protestant22 » afin de faire émerger un interlocuteur musulman « officiel », suffisamment loyal pour que l’État puisse sereinement lui déléguer la mission de créer un islam doté d’un fonctionnement institutionnel plus ajusté à la rationalité étatique française (Bowen, 2004).

27Ce premier registre d’intervention, très médiatisé, a été relativement bien documenté et analysé par les sciences sociales. Mais il s’articule avec une modalité d’action complémentaire, plus discrète, et moins étudiée. Comme l’explique par exemple André Damien dans cette note de 1995, il s’agit de transformer le profil des imams officiant sur le territoire métropolitain afin de s’assurer que ces derniers diffusent une interprétation de la religion musulmane susceptible de favoriser l’« intégration » des musulmans et de lutter contre la propagation de l’intégrisme :

  • 23 . CAC 19970347, art. 4, liasse 1, note de A. Damien à J.‑L. Debré, datée du 9 juillet 1996 et intit (...)

L’inorganisation radicale de l’islam ne permet pas une intégration saine des jeunes français musulmans […]. Dans la mesure où l’intégration passe aussi par la religion, il est évident que cette carence est grave et oblige l’État à une réflexion difficile puisque l’État n’a pas le droit d’intervenir en matière religieuse. […] L’absence d’organisation religieuse créée un problème sur l’intégration et la sécurité des citoyens […]. Il faut que les lieux de culte […] soient animés par des personnes capables de communiquer avec des jeunes Français et de leur enseigner une religion ouverte. Actuellement, la plupart des imams sont étrangers […], incapables de parler la langue française […] [ou] de comprendre les problèmes qui se posent à un jeune Français vivant dans une banlieue des années 1990. Il y a donc une création d’imams à faire, à opérer. L’État ne doit pas le faire de manière autoritaire, mais peut y aider23.

  • 24 . CAC 20050487 art. 7‑9, 15, 12, 21‑22.
  • 25 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

28Les entretiens réalisés, comme les archives consultées, en attestent. La propension des conseillers « islam » de la place Beauvau à considérer qu’il serait nécessaire de réformer le profil des imams hexagonaux émerge sous Pierre Joxe (1988‑1991). Elle résiste par la suite aux jeux de remaniements ministériels et d’alternances politiques. Si les versements d’archives les plus récents que nous ayons pu consulter ont été déposés en 2002 par le Bureau central des cultes24, les entretiens réalisés attestent du maintien de cette croyance jusqu’au second passage de Nicolas Sarkozy à la place Beauvau (2005‑2007)25. Nous disposons certes de moins d’éléments pour la période récente. Mais les déclarations régulières des ministres de l’Intérieur sur la nécessité de « former » les imams en France ne vont pas dans le sens d’une remise en cause de ce paradigme.

29Comme l’explique Bernard Godard, dans l’extrait reproduit ci‑dessous, l’intérêt que ministres et conseillers portent aux imams se nourrit au départ de l’image négative dont ces prédicateurs jouissent au sein du ministère de l’Intérieur :

  • 26 . Entretien avec le commandant de Police Bernard Godard en juillet 2005, chargé de mission «islam(...)

L’approche des imams elle était au départ plutôt sécuritaire […]. Déjà du temps de Joxe, on surveillait leurs prêches. Mais pour être honnête c’est vrai qu’au début des années 1990, un certain nombre d’imams, dans leurs prêches, se laissaient aller. C’était notamment dû au contexte politique… Bon bien sûr la surveillance des prêches s’est amplifiée sous Pasqua et, depuis, il y a ce discours qui perdure, cette histoire d’imam qui cristallise un peu cette peur, cette angoisse autour des prêches enflammés et de l’embrigadement des jeunes26.

  • 27 . CAC 20030069, art. 15 et 16. Voir par exemple les réponses des préfets à la circulaire du 23 janv (...)
  • 28 . CAC 20030069, art. 29, note du Préfet de la M. au directeur des Renseignements généraux de sa rég (...)

30Cette représentation des imams comme acteurs problématiques s’élabore en lien avec le travail de surveillance du champ associatif musulman entrepris par les Renseignements généraux à compter du début des années 199027. En effet, pour les policiers, surveiller ce qui se dit dans les mosquées, et notamment les prêches qu’y prononcent les imams, constitue une technique peu couteuse, en temps et en argent, pour tenter de repérer les espaces et les acteurs susceptibles d’alimenter le « danger intégriste28 ». Envoyer des fonctionnaires des RG, arabophones et parfois même de confession musulmane, assister à la prière communautaire du vendredi permet aux pouvoirs public de prendre directement et rapidement la température d’un lieu de culte : pas besoin d’avoir recours à des intermédiaires, ni à une phase préalable d’immersion. Évidemment, dans les procès‑verbaux d’enquête qu’ils rédigent à l’attention de leurs supérieurs, comme dans « les échos des prêches », la synthèse que la direction centrale des Renseignements généraux envoie de manière hebdomadaire au cabinet, le profil et les propos des prédicateurs ne sont évoqués que pour attester ou illustrer la politisation et/ou les risques de radicalisation du référent religieux dans certains lieux de culte islamiques :

  • 29 . CAC 199703373, art. 3, liasse 6, note de la DCRG datée du 19 août 1996 sur «les échos des prêche (...)

Les lieux de culte ont connu, vendredi 16/08, une fréquentation assez faible. Les prêches prononcés sont globalement restés d’ordre religieux. Reprenant un discours déjà tenu vendredi dernier, par l’imam marocain pro FIS de Metz‑Centre, Omar B., le religieux algérien Abdelkader K. a évoqué le thème du paradis, expliquant aux fidèles que chaque croyant devait craindre Dieu en permanence. Il a ensuite affirmé à ses coreligionnaires que « les récentes catastrophes dont étaient victimes les américains et les européens (vol TWA et camping Biescas en Espagne) étaient le signe évident de la colère de Dieu29 ».

  • 30 . Idem. Note de la DCRG datée du 2 septembre 1996 sur «les échos des prêches et de la communauté m (...)

Les lieux de culte ont retrouvé, vendredi 30/08, une fréquentation normale, les fidèles ayant regagné la France après des vacances dans leurs pays d’origine. Les prêches prononcés sont restés d’ordre religieux dans l’ensemble. Toutefois l’imam E., officiant à la mosquée de G. (91), a tenu un discours virulent devant une assistance composée de nombreux jeunes. Abordant le sujet du mariage, il a notamment déclaré : « les musulmans n’ont pas le droit de se marier avec des Français ou des Juifs, en raison de l’interdiction des mariages mixtes… Il faut laisser le concubinage aux chrétiens. Les musulmans doivent se marier, afin que leur enfants ne soient pas des bâtards… ». Sur sa lancée le religieux a également adressé une mise en garde aux femmes musulmanes pour qu’elles conservent leurs traditions vestimentaires et notamment le port du foulard et des robes longues30.

  • 31 . Max Weber cité par I. Kerschaw, Hitler, essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, p.  (...)
  • 32 . Max Weber (1995 [1922], p. 56).

31En tant que telle, la performativité des prises de position des imams sur les fidèles est toujours plus supposée que démontrée par les auteurs de ces documents. En effet, évaluer « la chance pour un individu de faire triompher, au sein d’une relation sociale, sa propre volonté contre les réticences31 » et, ce faisant, d’obtenir « une obéissance prompte, automatique et stéréotypée chez un groupe déterminé d’individu32 » nécessite une durée et des moyens d’enquêtes dont ne dispose évidemment pas les forces de l’ordre. Cela est d’autant plus vrai qu’une telle évaluation nécessite d’opérer une double distinction. D’une part, il faut différencier la propension des imams à imposer leur volonté ou leur point de vue au sein de la mosquée, à l’occasion d’un rituel ou d’un cours, et leur aptitude à maintenir leur autorité au‑delà de ces interactions de face‑à‑face. D’autre part, sans doute ne faut‑il pas confondre « la capacité à dire le vrai en matière religieuse » que les fidèles reconnaissent aux clercs qu’ils jugent légitimes (Lagroye, 2009, p. 49) et les chances des seconds de parvenir à systématiquement réformer les comportements et les représentations des premiers (Jouanneau, 2012, 2013). Cependant, le fait que dans ces notes, les discours des imams se trouvent systématiquement associés à des situations jugées, potentiellement, dysfonctionnelles – que ce soit en matière de gestion de l’ordre public (risque de radicalisation) ou d’intégration (risque de repli communautaire) – participe à la mise en place de raccourcis cognitifs qui amènent les conseillers « islam » de la place Beauvau à prêter aux imams une importante autorité sur leurs fidèles et ce faisant à les concevoir comme des acteurs susceptibles de directement influencer la morphologie du fait islamique hexagonal.

32L’autorité qu’ils prêtent aux imams est notamment visible dans les notes qu’ils rédigent à l’attention des ministres qu’ils conseillent. En effet, les « ministres du culte musulman » y sont généralement présentés sous les traits d’une médaille à deux faces, à la fois causes et solutions des problèmes supposément posés par la religion musulmane en France. À l’instar du « conducteur buveur », qui aux États‑Unis fournit la principale explication des accidents de la route (Gusfield, 2008, pp. 91‑92), l’imam étranger, « mal intégré » ou « intégriste », y constitue l’un des ressorts d’explication de l’« inadaptation de l’islam » aux « valeurs de la République française », tandis qu’à l’inverse l’imam « intégré », « modéré », « français ou formé en France », y devient l’un des leviers susceptibles de résoudre cette inadéquation supposée (Jouanneau, 2013, pp. 252‑257).

  • 33 . Cette conviction est notamment visible dans les ouvrages que les anciens ministres ont publiés, d (...)

33Les analyses produites et portées par les conseillers en charge du dossier de l’« Islam en/de France » ont eu deux effets. Elles ont d’abord activement participé à persuader les ministres de l’Intérieur de la capacité des imams à influencer le comportement des musulmans métropolitains33. Elles les ont ensuite convaincus qu’il était dans l’intérêt de l’État de durablement les surveiller, mais également de favoriser la mise en place de dispositifs capables de réguler, voire de réformer, le profil des individus susceptible de prêcher dans les lieux de culte musulmans.

Encadrer les imams : contourner la « laïcité juridique » en maintenant les apparences

  • 34 . Selon le droit français, un ministre du culte peut par exemple «condamner l’avortement et dire q (...)

34On l’a vu en introduction, dire que la République française « ne reconnait aucun culte » ne signifie pas que les administrations qui la composent ignorent systématiquement l’existence de la sphère religieuse ou que leurs agents aient perdu toute velléité de contrôler ce qui s’y passe (Woehrling, 2003). De manière directe ou indirecte, certains agents de l’État se trouvent toujours en position de réguler l’activité cultuelle. Les administrateurs du Bureau central des cultes, unité rattachée à la sous‑direction Vie politique et Associative du ministère de l’Intérieur, sont par exemple encore aujourd’hui chargés de vérifier que les cultes présents sur le territoire français se conforment bien aux règles d’organisation générales édictées par la loi de 1905. Ils sont aussi en droit de « vérifier la qualité cultuelle d’une association qui se déclare comme telle », via l’attribution du statut « association loi 1905 » (Boyer, 2005, p. 39). Les fonctionnaires de police, quant à eux, sont autorisés à enquêter sur les institutions ou acteurs religieux soupçonnés d’avoir commis des délits, des crimes, ou de représenter un danger pour « l’ordre public34 ».

  • 35 . Ainsi, selon l’art. 34 «tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura (...)

35Telle qu’elle se développe à compter de la seconde moitié des années 1980, la surveillance des mosquées et des associations islamiques qui les gèrent, comme celle des imams ou des propos qu’ils tiennent devant les fidèles, n’est donc pas contraire aux normes juridiques qui, depuis la loi de 1905, régissent les relations que les agents de l’État peuvent légalement ou non entretenir avec les institutions et les acteurs religieux présents sur le territoire. Cela est d’autant plus vrai que les articles 34 et 35 de cette loi ouvrent directement la voie à la surveillance des lieux de culte et de leur ministre par les autorités publiques35.

  • 36 . Note du Bureau central des cultes, citée par A. Ledain (2008, p. 178).
  • 37 . En effet, cette fonction est évoquée dans un certain nombre de textes législatifs ou réglementair (...)
  • 38 . Rappelons cependant que depuis les accords de Latran, en 1921, le ministre de l’Intérieur possède (...)

36Il en va en revanche différemment du parti pris du ministère d’influer sur le profil des imams susceptibles d’exercer sur le territoire métropolitain. En effet, depuis 1905, la laïcité juridique s’accorde à considérer que ce sont « les autorités de la communauté religieuse qui indiquent aux pouvoirs publics qui sont les ministres de son culte36 ». Certes, en pratique, ce statut de « ministre du culte » fait l’objet d’une reconnaissance indirecte par les pouvoirs publics37. Mais en dehors des établissements publics dotés d’aumôneries (écoles, prison, hôpitaux) – où l’État conserve le droit de statuer sur le bien‑fondé d’attribuer à tel ou tel individu le statut d’aumônier – les agents de l’État ne sont plus, en théorie, légalement autorisés à interférer dans les processus de sélection et de nomination des ministres du culte38.

37Afin de rester en apparente conformité avec la loi de 1905 et sa jurisprudence, les « conseillers islam » vont dès lors chercher à agir sur le profil des imams en s’appuyant sur des domaines d’action publique connexes, où la légitimité juridique et politique de l’État à intervenir apparait a priori peu contestable. Le plus simple à défendre, tant du point de vue politique que médiatique, consiste à légitimer l’action de l’État par « la défense de la liberté religieuse ». C’est ainsi, par exemple, que l’ancien conseiller technique de Nicolas Sarkozy, Vianney Sevaistre, justifie l’intervention d’agents de l’État dans les commissions « ministres du culte » mises en place dans le cadre de l’Istichara (consultation) et du CFCM :

  • 39 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

La laïcité, c’est permettre aux gens religieux de pratiquer librement leur religion. Mais pour cela, il faut que ceux qui s’occupent du culte vivent dignement […] qu’ils aient un statut. Parce que si les imams […] n’ont pas de sécurité sociale, qu’ils sont à la CMU, qu’ils n’ont pas de retraite, c’est inacceptable39.

38Compte tenu des attributions de leur ministère d’affectation, la « défense de l’ordre publique » reste cependant l’axe de légitimation le plus simple. Cela est d’autant plus vrai que, comme l’on démontré certains juristes, la notion « d’ordre publique », de par la labilité de sa définition, leur offre une marge de manœuvre substantielle (Polin, 1996). Comme le démontre cette note de mai 1989, rédigé par Raoul Weexsteen à l’attention de Pierre Joxe, la lutte contre « l’intégrisme musulman » constitue notamment un topique récurrent de la légitimation de l’intervention de l’État dans le dossier des imams :

  • 40 . CAC 19920417, art. 2: «Questions de fonds soulevées par la disparition du recteur de la Mosquée (...)

Les autorités françaises ne peuvent prétendre être concernées […] que si elles montrent et partagent avec les États concernés le souci de lutter contre l’intégrisme, de protéger les imams modérés, d’empêcher que la France ne soit un foyer d’extrémisme musulman, c’est‑à‑dire une menace pour les États musulmans amis de la France40.

  • 41 . Entretien avec A. Billon, février 2006.

39Ce document introduit en filigrane un troisième ressort de justification : « l’idée que le MAE peut pallier l’absence d’intervention de l’État républicain sur cette question du fait de la laïcité par des accords avec les États musulmans41 ». Enfin le droit des étrangers et les modalités d’accès au séjour constituent un quatrième et dernier ressort de légitimation de l’action publique en direction des imams. Celui‑ci consiste à rappeler, chaque fois notamment qu’une expulsion d’imam est décidée, que la France, en tant qu’État‑nation, dispose, dans les limites fixées par le droit, de la capacité d’interdire l’accès de son territoire à ceux dont elle juge la présence indésirable.

40Du fait des contraintes qui participent à la définir, cette doctrine administrative minimale va trouver à s’incarner dans des dispositifs qui mis bout à bout constituent moins une politique publique à part entière qu’un faisceau d’actions publiques discrètes, plus ou moins complémentaires et efficaces dans leurs effets. L’enquête réalisée pour la période 1989‑2007, nous a permis d’en identifier au moins trois.

  • 42 . CAC 19970374, art. 4, liasse 1, «Situation actuelle de l’islam de France», note de A. Damien à (...)

41Les deux premiers ont été initiés par Raoul Weexsteen. Ils partent du constat que « la France, du point de vue musulman, est un pays de mission, c’est‑à‑dire qui reçoit des missionnaires étrangers42 ». Le premier dispositif s’inscrit dans la filiation de la politique migratoire des années 1970. Il consiste à appréhender la problématique de l’imamat comme une dimension spécifique des relations diplomatiques avec les pays d’émigration dit « musulmans ». Plus précisément, il consiste, en amont de l’arrivée des imams, à tenter de négocier avec les États dont ces derniers sont majoritairement originaires afin qu’ils organisent leur sélection, certifient leur légitimité et leurs titres, mais surtout qu’ils les encadrent durant la durée de leur mission en France (Jouanneau, 2014a).

42Le second s’inscrit quant à lui dans une longue tradition française de « traitement à la carte des étrangers » (Spire, 2005, p. 13). En aval de l’arrivée des imams en France, il repose sur l’instrumentalisation de leur condition d’« étrangers » et du droit au séjour. Via la mise en place d’une procédure centralisée d’attribution des visas de résidence délivrés au titre de « ministre du culte musulman », il vise, d’une part, à favoriser le départ volontaire ou l’expulsion des imams jugés « problématiques » et, d’autre part, à maintenir les autres dans une situation de surveillance et de précarité administrative favorisant leur « domestication » (Jouanneau, 2009).

43Le troisième mode d’action développé rassemble quant à lui toutes les tentatives des « conseillers islam » pour favoriser la création d’instances de formation d’imams « à la française », qu’il s’agisse d’essayer de convaincre certaines institutions islamiques de les mettre en place en interne ou au contraire de s’appuyer sur certaines universités métropolitaines pour former les clercs musulmans aux spécificités de la société française (Frégosi, 1998 ; Jouanneau, 2013).

44L’arrimage de ce faisceau d’actions publiques à des domaines où l’intervention de l’État apparait légitime permet aux responsables du ministère de l’Intérieur d’agir discrètement, sans avoir à remettre frontalement en cause la laïcité dans sa dimension la plus objective, à savoir le droit. Ce parti pris a néanmoins un coût. Le premier est sans aucun doute le grand nombre de services que les conseillers islam se trouvent contraints de solliciter pour mettre en œuvre ces dispositifs. En effet, compte tenu des conditions de mise en œuvre de la laïcité à compter de 1905, l’État français ne dispose d’aucune administration à qui déléguer officiellement ou en pratique ces formes discrètes d’action publique. Concrètement, un dossier comme celui de l’imamat va, selon les cas, pouvoir mobiliser la Direction de la Surveillance du Territoire et la Direction centrale des Renseignement généraux, ainsi que leurs antennes locales pour le volet surveillance des imams ; le Bureau central du culte, sur les questions liées à la vie associative et aux statut juridique des imams notamment ; mais aussi la Direction des Libertés publiques et des Affaires Juridiques et les services « étrangers » des préfectures, sur le versant régularisation ou expulsion des imams étrangers ; le Conseiller aux affaires religieuses et la Direction de l’Afrique du Nord et du Moyen‑Orient, sur le versant plus diplomatique de la négociation avec les pays d’émigration musulmans, etc.

45Mais surtout, au‑delà du travail de coordination que suppose la collaboration de ces différents services, la mise en œuvre de ces différents dispositifs se voit également limitée par les spécificités, voire les clivages qui les opposent. En effet, toutes ces administrations se caractérisent par des impératifs qui ne sont pas toujours congruents les uns avec les autres. Leurs agents sont, en outre, porteurs de « cultures administratives » (Dreyfus & Eymeri, 2006), de « dispositions spécifiques » (Bourdieu, 2003, p. 237) qui travaillent activement leur appréhension de ce que serait par exemple un « bon » ou un « mauvais » imams, ou encore les « bons » et les « mauvais » moyens de les contrôler (Jouanneau, 2009, 2013).

46Enfin, ce choix de ne pas ouvertement déroger au cadre juridique fixé par la laïcité contraint les responsables de la place Beauvau à s’appuyer sur des montages complexes et nécessitant, le plus souvent, l’intervention d’acteurs tiers (États étrangers, ambassades, consulats, fédérations musulmanes d’ampleur nationale ou locale) dont les intérêts ne sont pas nécessairement convergents avec les siens (Jouanneau, 2013, 2014b).

Une laïcité juridique contraignante et contournée, mais jamais discutée

47Le choix des ministres de l’Intérieur et de leurs conseillers de contourner l’interdiction qui leur est faite, depuis 1905, de peser sur le profil des « ministres du culte musulman » interroge évidemment le rapport que ces derniers entretiennent en pratique au principe de laïcité.

48Comme cela a déjà été démontré, le passage des années 1980 aux années 1990 a été marqué par un infléchissement de l’interprétation du principe de laïcité en tant qu’idéal politique (Roy, 2005). En effet, jusqu’à la fin des années 1980, lorsque les ministres de l’Intérieur évoquent publiquement la problématique de l’islam et/ou du culte musulman, la laïcité narrative qu’ils mobilisent est avant tout associée à l’idée de neutralité confessionnelle de l’État (Koussens, 2010). Elle sert alors à « [légitimer] le “laisser‑faire” et à [justifier] le désintérêt des pouvoirs publics à l’égard des demandes de culte formulées par des musulmans » (Galembert, 2006, p. 37). À compter de la décennie suivante, alors que la loi reste inchangée, les responsables de la place Beauvau vont désormais brandir la « laïcité » « pour rappeler que la République est garante de la liberté de conscience et du libre exercice du culte, et donc pour justifier qu’il lui faille, à ce titre, œuvrer de manière à ce que ces libertés profitent à tous, y compris aux musulmans » (idem).

  • 43 . CAC 20010341, art. 1, liasse 1 «1997», note de D. Motchane à l’attention de J.‑P. Chevènement, (...)
  • 44 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

49Une tendance similaire se retrouve dans les documents rédigés par les conseillers « islam », à l’instar de cette note où Didier Motchane affirme que « c’est la prise en compte d’une situation conjoncturelle héritée de l’histoire et non une quelconque volonté de discrimination, qui fonde l’intervention […] de l’Intérieur vis‑à‑vis du culte musulman43 ». Elle est aussi repérable en entretien, comme lorsque Vianney Sevaistre affirme que « s’occuper des imams relève d’un précieux respect de la laïcité car ne pas s’occuper des imams c’est nier la liberté religieuse et c’est surtout prendre des risques vis‑à‑vis de l’ordre public44 ».

50Mais la laïcité narrative n’a pas en soi de valeur juridique et les évolutions qu’elle rencontre ne conduisent pas nécessairement à une évolution du droit. Pour les responsables de la place Beauvau, elle fonctionne surtout comme un registre de légitimation, permettant de justifier les prises de position concrètes et circonstanciées du ministère de l’Intérieur vis‑à‑vis du fait religieux. Cependant, à partir du moment où le ministère de l’Intérieur passe d’une logique de non intervention à une logique d’immixtion dans les affaires du culte musulman, « le système très exigeant que la France a inventé concernant la gestion du phénomène religieux » devient une contrainte qui, comme l’explique ici Bernard Godard, « amène assez vite à des aberrations et des dissimulations » :

  • 45 . Entretien avec B. Godard, avril 2006.

Quand vous avez un culte, que ce soit le culte catholique, juif ou protestant, qui est bien encadré, qui est bien rentré dans le cadre de laïcité […], il n’y a pas de problème. Mais avec l’islam, vous avez d’un seul coup un culte où, non seulement, rien n’a été fait pour l’intégrer, mais où, aussi, d’une certaine façon, sa nature même ne le dispose pas a priori à rentrer dans ce cadre. Si vous voulez on aurait pu imaginer l’islam avec les mêmes difficultés, dans la même essence, mais avec au moins une hiérarchie religieuse […].Tout ça pour dire que la France avec ce système de la laïcité a dû effectivement se contorsionner pour permettre à l’islam de rentrer dedans… 45.

  • 46 . Entretien avec A. Billon, février 2006.

51Ce positionnement qui consiste à reconnaître la propension du ministère à « mordre un peu le trait dans son volontarisme46 » sans pour autant en appeler à une réforme de la laïcité juridique, repose sur un paradoxe qu’il convient d’expliciter. Comme nous avons eu l’occasion de le souligner précédemment, l’intérêt que les responsables de la place Beauvau portent au fait islamique ou aux imams n’est pas sous‑tendu ou alimenté par des préoccupations d’ordre religieux ou juridico‑philosophique. Nous l’avons démontré, leurs motivations sont de nature sécuritaire et intégrationniste. Leur objectif n’est donc pas d’interroger l’actuelle pertinence d’un modèle de gestion des cultes instauré en 1905. Pour eux, il s’agit, plus prosaïquement, de parvenir à y faire « entrer l’islam » en amenant ce culte à se doter d’instances de représentation et de régulation qui permettent à l’État de retrouver la position de neutralité censée être la sienne. En effet, comme le laisse entrevoir Vianney Sevaistre dans cet extrait d’entretien, de leur point de vue, l’intervention des pouvoirs publics dans le dossier du culte musulman en général ou de l’imamat à particulier n’a de sens que si, paradoxalement, celle‑ci permet de créer à terme une situation où les agents de l’État ne se sentiront plus contraints d’intervenir à la fois directement et publiquement :

  • 47 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

Pourquoi n’y‑a‑t‑il plus un seul policier dans les églises catholiques depuis 1950 ? Tout simplement parce que l’on sait que l’on a affaire à des gens en qui on a confiance et qu’il n’y a pas de troubles à l’ordre public provoqués par ces gens‑là […]. Pour les imams c’est pareil, on a tout intérêt à avoir cette labellisation [...], à avoir des gens qui au CFCM seront capables de gérer avec l’administration des problèmes de cette nature. Mais tant qu’il n’y avait rien, ce n’était pas possible. Mais bon, il faut du temps. On n’est pas arrivé à mettre en place ce système avec les protestants en une journée47.

52Ce rapport ambigu à la laïcité juridique éclaire la manière dont les ministres des années 1990‑2000 ont communiqué sur le dossier de l’imamat. En effet, tous ont publiquement dénoncé l’inadaptation supposée d’une grande partie des imams à la société française et stigmatisé l’influence néfaste qu’ils exerceraient selon eux sur leurs fidèles. Ils ont à ce titre revendiqué le droit de l’État français d’arrêter ou d’expulser ceux dont les discours seraient contraires aux « valeurs de la République française ». Tous ont également communiqué sur la nécessité pour les musulmans de disposer d’imams formés en France. Cependant, dans ces déclarations médiatiques, c’est toujours la « communauté musulmane française » qui au final se trouve officiellement invitée à trouver les moyens de se doter de prédicateurs plus en phase avec les valeurs républicaines, tandis que l’ampleur de l’intervention des agents de l’État dans ce dossier demeure en grande partie dissimulée afin que la laïcité puisse continuer d’être présentée comme une valeur cardinale de la République à laquelle les musulmans et l’islam devraient s’adapter.

53***

54L’attention que les responsables de la place Beauvau portent au culte musulman en général et aux imams en particulier est née au croisement d’une injonction à l’« intégration » des « musulmans » et d’une politique de surveillance des comportements politiques pouvant porter atteinte à l’ordre public et/ou à la sécurité intérieure. Insérée dans une entreprise plus globale de surveillance et de régulation de l’exercice et de l’institutionnalisation du culte musulman hexagonal, elle repose sur une série de raccourcis cognitifs conduisant à appréhender les imams comme des acteurs capables d’influencer la doxa islamique, du fait de l’autorité qu’ils seraient en mesure d’exercer sur leurs coreligionnaires.

  • 48 . Sur les limites du travail comparatif mené par J. S. Fetzer et J. C. Soper (2005), voir cependant (...)

55Cette croyance des agents de l’État dans la capacité des « bons » imams à favoriser l’émergence d’un islam plus compatible avec les « valeurs nationales » et des « mauvais » à ralentir, voire à empêcher, l’intégration des musulmans n’est pas propre à la France. On la retrouve aussi en Angleterre (Birt, 2006) et aux Pays Bas (Boender & Kanmaz, 2002), ainsi désormais qu’au niveau des instances européennes de lutte contre le terrorisme (Ragazzi, 2016). En conformité avec l’hypothèse avancée par Joel S. Fetzer et J. Christopher Soper (2005)48, cet intérêt se traduit cependant dans des formes d’action publique qui varient en fonction du modèle de gestion des cultes qui s’est historiquement imposé dans ces trois pays. L’État britannique exerce par exemple depuis une dizaine d’années une pression croissante sur les imams pour qu’ils développent des programmes de lutte contre la radicalisation, ce qui, du fait de la loi dite de Séparation des Églises et de l’État apparait difficilement imaginable en France (Ragazzi, 2014).

56Dans l’hexagone, l’intérêt étatique pour les imams se concrétise plutôt, comme nous venons de le voir, par des pratiques classiques de surveillance, ainsi que par la mise en œuvre d’un faisceau d’actions publiques visant à discrètement compenser l’absence d’institution(s) islamique(s) hexagonale(s) à qui les agents de l’Intérieur pourraient pleinement faire confiance pour délivrer le titre et le statut de « ministre du culte musulman », comme cela se passe désormais pour les cultes catholique, juif et protestant. En effet, qu’il s’agisse de la surveillance policière, du recours à l’externalisation diplomatique de leurs recrutements et de leur encadrement, de l’instrumentalisation du droit au séjour ou de la mise en place de formation religieuse ou civique, l’objectif des ministres et de leurs conseillers « islam » reste le même. Il s’agit de s’assurer que les individus pouvant prétendre au titre d’imam prêchent un islam compatible avec les « valeurs de la République ».

57Pour maintenir les apparences, ces dispositifs d’encadrement s’appuient sur des secteurs d’action publique légitimes (maintien de l’ordre, relations diplomatiques, coopération ou action

58culturelle, formation, surveillance des frontières et de l’immigration, etc.). Dans les faits, ils participent cependant à une remise en cause du principe selon lequel, depuis 1905, l’État n’aurait plus à statuer sur la légitimité de tel ou tel individu à occuper le statut de « ministre du culte ». On se trouve dès lors face à un paradoxe : les représentants d’un État laïque décidant de déroger discrètement à certains aspects de la laïcité juridique en vue de réguler l’exercice d’un culte soupçonné de ne pas suffisamment adhérer à la laïcité narrative républicaine.

  • 49 . A.‑B. Hoffner, «La formation d’imams français au Maroc, une “étape”», La Croix, le 21 septembre (...)
  • 50 . J. Pascual, «Le ministre de l’Intérieur lance, lundi, une série de “consultations”, notamment au (...)

59Ces éléments d’analyse, valables pour la période 1989‑2007, semblent encore valables aujourd’hui. En témoigne par exemple l’accord de « coopération en matière d’imams » signé en 2015 par François Hollande avec le royaume Chérifien. Cet accord prévoit, en effet, l’envoi d’une promotion de cinquante étudiants Français à l’Institut de formation Mohammed VI de Rabat afin que ces derniers y suivent une formation à l’imamat promouvant « un islam du juste milieu » conforme aux « valeurs d’ouverture et de tolérance » 49. En témoignent également, les déclarations de Bernard Cazeneuve à l’été 2016 à propos de la nécessité de créer des formations de théologies islamiques sur le territoire français et reconnaissant qu’en agissant ainsi « on est au maximum de ce que l’État peut et doit faire pour davantage de formation d’imams en France50 ».

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Notes

1 . Du moins sur le territoire métropolitain, les territoires d’outre‑mer ayant quant à eux, pendant et après la période coloniale, fait l’objet de statuts dérogatoires plus ou moins importants et plus ou moins durables à la loi du 5 décembre 1905.

2 . Certains chercheurs ont par exemple travaillé sur la politique anti-congrégationniste menée par les agents du Bureau central des cultes et la manière dont elle a contraint à l’exil ou à une «sécularisation» fictive des dizaines de milliers de religieux et religieuses (Cabanel & Durand, 2005). D’autres ont analysé les négociations qui, entre 1920 et 1924, se sont déroulées entre la France et le Vatican autour de la création d’une association cultuelle spécifique au culte catholique (les associations diocésaines), montrant une commune volonté de ces deux États, bien que pour des raisons différentes, d’éviter que la loi de 1905 ne favorise les remises en cause de la hiérarchie catholique romaine (Poulat, 2007).

3 . Pour une retraduction dans le langage de la théorie politique de ce type de raisonnement, voir notamment les travaux de Christian Joppke et notamment ses analyses sur les concepts du «muscular liberalism» et de «illiberal minority» (Joppke, 2013; Joppke & Torpey, 2017). Et sur les limites de cette approche voir notamment les travaux de Alana Lentin et Gavan Titley (2011).

4 . Communication sur la condition des travailleurs immigrés et de la politique d’immigration, prononcée par Paul Dijoud devant le Conseil des ministres du 10 octobre 1974.

5 . Il s’agit des fiches L‑1 («Aide à l’implantation des lieux de culte») et L‑2 («Aide aux mosquées et salles de prières déjà existantes»), elles ont été en partie reproduites par Gilles Kepel (1987, p. 143).

6 . Paul Dijoud, La Nouvelle politique d’immigration, Paris, Secrétariat d’État aux travailleurs immigrés, 1974.

7 . Rapport de la Commission Culture et Immigration, Réflexions et propositions sur les besoins éducatifs, sociaux et culturels des travailleurs émigrés et de leurs familles, Paris, ICEI, 1979, pp. 51‑52.

8 . Voir par exemple CAC 19970374, art. 4, liasse 1, la note intitulée «Islam et l’islamisme en France», envoyé par J.P. Braganti à A. Damien datée du 21 juin 1995.

9 . CAC 19920417, art. 2, Note de B. Guillet du 20 mars 1987 (CAB/VIII/BG/DJ/ no 337).

10 . Entretien avec R. Weextseen en décembre 2006 (entretien non enregistré, propos reconstitués à partir des notes prises pendant la discussion).

11 . Sur ces logiques de recrutement habituellement plus stabilisées et identifiables dans les cabinets ministériels voir Mathiot & Sawicki (1999).

12 . Entretien avec D. Motchane, février 2006.

13 . Entretien avec A. Billon, avril 2006.

14 . Entretien avec B. Godard, mars 2006.

15 . Bernard Godard a notamment réalisé un mémoire de DEA sous la direction de Gilles Kepel sur «l’islamisme en France».

16 . Pour reprendre l’expression utilisée par A. Billon, D. Motchane mais aussi V. Sevaistre, sous les ordres de qui B. Godard a ensuite travaillé en tant que chargé de mission «Islam» du BCC.

17 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

18 . Entretien avec R. Weextseen, décembre 2006 (entretien non enregistré, propos reconstitués à partir des notes prises pendant la discussion).

19 . CAC 20010341, art. 1, liasse 1 «1997», «Note du ministre de l’Intérieur Jean‑Pierre Chevènement à l’attention du Directeur central des RG et du Préfet de Police», (deux courriers distincts), datée du 25 juillet 1997.

20 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

21 . Cette expression est empruntée à B. Godard (Terrel, 2004, p. 87).

22 . CAC 19970374, art. 4, liasse 1, «Situation actuelle de l’islam de France», note rédigée par A. Damien à l’attention de J.‑L. Debré, datée du 10 janvier 1996.

23 . CAC 19970347, art. 4, liasse 1, note de A. Damien à J.‑L. Debré, datée du 9 juillet 1996 et intitulée «Islam de France ou Islam en France».

24 . CAC 20050487 art. 7‑9, 15, 12, 21‑22.

25 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

26 . Entretien avec le commandant de Police Bernard Godard en juillet 2005, chargé de mission «islam» au Bureau central des cultes depuis 1999 et ancien conseiller islam de Jean‑Pierre Chevènement.

27 . CAC 20030069, art. 15 et 16. Voir par exemple les réponses des préfets à la circulaire du 23 janvier 1991 de G. Carrere (Directeur général de l’Administration au ministère de l’Intérieur) demandant de faire remonter toutes information sur «la constitution, sous leur sigle propre, d’association directement liées à des partis politique étrangers tout particulièrement en provenance de pays du Maghreb». En effet, une partie des informations remontant au ministère témoignent d’une pratique de surveillance des lieux de culte musulmans par les services de renseignements généraux locaux.

28 . CAC 20030069, art. 29, note du Préfet de la M. au directeur des Renseignements généraux de sa région, datée du 7 juillet 1995, récapitulant les items devant être renseignés par les renseignements généraux locaux lorsqu’ils enquêtent sur un imam et l’association ayant fait appel à ses services.

29 . CAC 199703373, art. 3, liasse 6, note de la DCRG datée du 19 août 1996 sur «les échos des prêches et de la communauté musulmane».

30 . Idem. Note de la DCRG datée du 2 septembre 1996 sur «les échos des prêches et de la communauté musulmane».

31 . Max Weber cité par I. Kerschaw, Hitler, essai sur le charisme en politique, Paris, Gallimard, p. 35.

32 . Max Weber (1995 [1922], p. 56).

33 . Cette conviction est notamment visible dans les ouvrages que les anciens ministres ont publiés, d’autant que les passages de ces livres consacrés aux imams apparaissent très directement inspirés des notes rédigés par les conseillers «islam». Dans certains cas, il s’agit même de «copier‑coller» d’extraits de ces dernières (Jouanneau, 2013, pp. 334‑336).

34 . Selon le droit français, un ministre du culte peut par exemple «condamner l’avortement et dire qu’il s’agit [au regard de la religion catholique] d’un pêché et d’un crime. En revanche, tout encouragement et soutien à l’attaque de clinique pratiquant l’avortement est un délit» (Roy, 2005, p. 44).

35 . Ainsi, selon l’art. 34 «tout ministre d’un culte qui, dans les lieux où s’exerce ce culte, aura publiquement […] outragé ou diffamé un citoyen chargé d’un service public, sera puni d’une amende de 3750 euros et d’un emprisonnement d’un an, ou de l’une de ces deux peines seulement», tandis que selon l’art. 35, «si un discours prononcé ou un écrit affiché ou distribué publiquement dans les lieux où s’exerce le culte, contient une provocation directe à résister à l’exécution des lois ou aux actes légaux de l’autorité publique, ou s’il tend à soulever ou à armer une partie des citoyens contre les autres, le ministre du culte qui s’en sera rendu coupable sera puni d’un emprisonnement de trois mois à deux ans, sans préjudice des peines de la complicité, dans le cas où la provocation aurait été suivie d’une sédition, révolte ou guerre civile».

36 . Note du Bureau central des cultes, citée par A. Ledain (2008, p. 178).

37 . En effet, cette fonction est évoquée dans un certain nombre de textes législatifs ou réglementaires, via l’évocation des obligations spécifiques pesant sur ceux qui la remplissent. On pense ici au deux articles précités de la loi de 1905, mais aussi par exemple aux articles 433‑21 et 433‑21‑1 du code pénal relatifs aux mariages et aux enterrements.

38 . Rappelons cependant que depuis les accords de Latran, en 1921, le ministre de l’Intérieur possède néanmoins un droit de contestation s’agissant de la nomination des évêques de l’Église catholique (Julg, 2004, p. 484).

39 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

40 . CAC 19920417, art. 2: «Questions de fonds soulevées par la disparition du recteur de la Mosquée de Paris», note de R. Weexsteen à P. Joxe, mai 1989.

41 . Entretien avec A. Billon, février 2006.

42 . CAC 19970374, art. 4, liasse 1, «Situation actuelle de l’islam de France», note de A. Damien à J.‑L. Debré, datée du 10 janvier 1996.

43 . CAC 20010341, art. 1, liasse 1 «1997», note de D. Motchane à l’attention de J.‑P. Chevènement, datée du 5 novembre 1997.

44 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

45 . Entretien avec B. Godard, avril 2006.

46 . Entretien avec A. Billon, février 2006.

47 . Entretien avec V. Sevaistre, février 2006.

48 . Sur les limites du travail comparatif mené par J. S. Fetzer et J. C. Soper (2005), voir cependant la recension réalisée par Valérie Amiraux (2007).

49 . A.‑B. Hoffner, «La formation d’imams français au Maroc, une “étape”», La Croix, le 21 septembre 2015.

50 . J. Pascual, «Le ministre de l’Intérieur lance, lundi, une série de “consultations”, notamment auprès de membres du Conseil français du culte musulman», Le Monde, 29 août 2016.

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References

Electronic reference

Solenne Jouanneau, « Faire émerger un «islam français»: paradoxes d’une action publique sous contrainte (1970‑2010) », Sociologie [Online], N° 3, vol. 8 |  2017, Online since 12 October 2017, connection on 29 March 2024. URL : http://journals.openedition.org/sociologie/3291

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About the author

Solenne Jouanneau

jouanneau@unistra.fr
Maitresse de conférences en science politique à l’IEP de Strasbourg, UMR SAGE (Société Acteurs Gouvernement en Europe) - Institut d’études politiques de Strasbourg, MISHA, 5 allée du Général Rouvillois, 67083 Strasbourg, France

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